Le Potlach

Dans le film d’Eric Pauwels, qu’il a précisément intitulé Les films rêvés (2009), [disponible sur Universciné], à 7’30 », Jean ROUCH parle du Potlach:

C’est le fait de partager le surplus. Et nous avons tous un surplus de rêve, de moyens, de nourriture, … qu’il faut partager. Et pour moi c’est une chose complètement essentielle, c’est le gaspillage nécessaire. Il est nécessaire de gaspiller son énergie et ses richesses à une seule condition, c’est gaspiller avec des gens qui feront la même chose la prochaine fois.

Je note: intéressant de mettre en rapport ce gaspillage nécessaire avec la pratique amateur, avec le désir de partager le surplus (notre temps libre, notre talent, notre liberté d’artiste, …). Quelquefois, le Potlach est en échec, parce que les personnes qui participent au même projet ne sont pas prêtes à faire la même chose la prochaine fois. J’ai parfaitement expérimenté cette situation, dans laquelle le déséquilibre des échanges finit par hypothéquer tout projet. La réponse se trouve aussi dans la responsabilité partagée. La pratique collective est un espace de responsabilité collective. J’ai souvent répété: le groupe vous apporte ce que vous venez chercher quand vous lui apportez ce que vous attendez de lui. En d’autres mots: le collectif vous rend ce que vous contribuez à construire du collectif.

Faire groupe

La rencontre offre la possibilité de faire groupe. La rencontre, non pas comprise comme la constitution d’une grégarité indéterminée, floue1, mais celle de la confiance partagée. Voyez à ce sujet la petite note sur la proposition d’Isabelle Stengers, de faire confiance, plutôt qu’avoir confiance. Dans la pratique artistique collective, la combinaison des individualités et du collectif, même dans la confrontation, est essentielle.

Ernst JÜNGER2 illustre ceci encore d’une autre manière:

Si je plante trois arbres tout près l’un de l’autre, dans une prairie, ils ne constitueront pas seulement un groupe, mais entreront aussi en relations réciproques. Ils laisseront dégénérer celles de leurs branches qui se tournent vers l’intérieur; vers le dehors, elles croîtront tant qu’elles retomberont jusqu’à terre.

L’intrigue

J’emprunte à Jean-François REY (Altérités, p.30-31) le concept d’intrigue, dans deux sens au moins. Il explique: nous sommes intrigués par l’autre, mais en même temps, nous sommes liés à lui par une intrigue, empêtrés dans cette intrigue. La rencontre peut donc être à l’origine d’un double état : de satisfaction, de plaisir, voire de joie, …, mais aussi de déplaisir, d’inquiétude ou d’angoisse. Les deux mouvements sont en tension et cette tension est féconde.

« Le plus juste »

Travailler au plus juste de soi pour atteindre au plus juste de l’autre.

Qui dit « le plus juste » ne dit pas le plus haut ni le plus bas, par on ne saurait quel fallacieux principe d’altitude. « Le plus juste » n’est pas non plus – surtout pas ! – le « juste milieu » cher aux modérés ou aux médiocres.

« Le plus juste », ce serait quelque chose comme l’équilibre entre la plus authentique expérience et son expression la mieux accomplie.

François DEBLUË, Lyrisme et dissonance II, in Conférence n°28 (printemps 2009).