L’enfer

L’enfer du vivant n’est pas chose à venir ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.

Italo CALVINO, Les villes invisibles, p.189

Depuis que l’homme ne croit plus à l’enfer, il a transformé sa vie en quelque chose qui y ressemble. C’était le moins qu’il pût faire.

Ennio FLAIANO, Autre mode d’emploi du meilleur des mondes possibles, in Conférence n°32, p. 348

Et BOBIN, avec cet humour indéfinissable [Ressusciter, p.137]:

J’aime bien cet endroit, la décoration a du charme, dit la petite jeune fille qui se trouvait en enfer.

La marche des Marines

Où il est question du Paradis – et de ce qu’on y chante !

Dans le film de GODARD, Notre musique – 3e partie: Royaume III, le Paradis apparaît comme un jardin, une nature très verte, mais assez froide, peu accueillante. Il est occupé par des Marines américains en uniforme de parade (col marin, calot) qui gardent les limites du royaume, derrière une grille/un grillage plutôt, au bord de l’eau — qui doit être celle d’un lac dans lequel trempent les branches des arbres les plus proches. On entend la marche des Marines :  Les Marines américains/des États-Unis gardent les rues du Paradis. Un message qui se veut rassurant. Bigre !

En écho, Giovanni BORGOGNONE cite Robert KAGAN, dans un article très éclairant, publié par la revue Conférence (n°29, 2010) sous le titre « L’anti-européanisme des Américains »: Pour le vieux continent, la meilleure chose serait donc d’accepter le « prix du Paradis », c’est-à-dire la présence d’une Amérique forte et même hégémonique. 

Le Paradis

Christian BOBIN, dans ce livre magnifique consacré à Emily Dickinson (La dame blanche, p. 117), cite la poétesse américaine:

Chacun de nous prend le paradis dans son corps ou l’en retire, car chacun de nous possède le talent de vivre.

Et Anne PERRIER, en exergue de son très beau recueil La voie nomade (La Dogana, 1986), donne aussi la parole à E.Dickinson:

Et pour occupation, ceci:
Ouvrir bien grandes mes étroites mains
Pour ramasser le Paradis.


Christian BOBIN, encore lui, note avec justesse [La dame blanche, p.68]:

Le paradis est l’endroit où nous n’aurons plus besoin d’être rassurés.

Et Roger MUNIER, cité par P.A.Tâche [Carnets 1989-1990, in Conférence n°32, p. 98]:

Le paradis, c’est peut-être de n’être pas, le sachant. Inexprimablement le sachant.