Chanter c’est danser

Je note, dans le livre de Daniel LEVITIN [De la note au cerveau. L’influence de la musique sur le comportement], que comme dans beaucoup de langues, le verbe sesotho pour chanter (ho bina) signifie également danser : on ne fait pas la distinction puisqu’on considère que le chant implique des mouvements corporels.

Il s’agirait maintenant de chercher d’autres exemples et, si possible, d’en tirer quelque leçon pleine de sagesse… J’ai l’intuition que beaucoup de langues pratiquent cette combinaison sémantique, qui semble bien naturelle. Il n’y a que pour nous que la réconciliation entre chanter et danser demande un effort mental, avant de la transformer en pratique.

Nier la pesanteur

Si les oiseaux ne chantaient pas, nous ne chanterions pas nous non plus. Notre chant vient de loin, du gosier strié des reptiles, des joues flasques des batraciens. Ultime cri des mots pour dire que nous sommes. Le chant nie la pesanteur des corps (c’est pourquoi on dit qu’il s’ élève) comme les mots nient la pesanteur des choses. Quand j’écris terre, ce mot ne pèse rien, presque rien sur la page. Et quand j’écris soleil, j’échange des myriades de tonnes contre deux syllabes sans poids. Ainsi du chant qui mue le corps en souffle, la chair en air. Non, notre chant à nous ne dit pas : nous sommes. Il dit: nous sommes autres.

Jacques LACARRIERE, Sourates, p. 89

Cette évocation de la légèreté me rappelle d’insérer ici une mention de la Première leçon que Italo CALVINO aurait dû donner à Harvard, et qui est publiée avec 4 autres sous le titre des Leçons américaines [Aide-mémoire pour le prochain millénaire]. Les 5 Leçons – Légèreté, Rapidité, Exactitude, Visibilité, Multiplicité –  sont toutes admirables.

Dans la Première leçon [Légèreté], j’ai noté:

Si je voulais choisir un symbole votif pour saluer le nouveau millénaire, je choisirais celui-ci: le bond agile et imprévu du poète-philosophe [Cavalcanti] qui prend appui sur la pesanteur du monde, démontrant que sa gravité détient le secret de la légèreté – alors que ce qui passe aux yeux de beaucoup pour la vitalité d’une époque bruyante, agressive, piaffante et vrombissante appartient aussi sûrement au règne de la mort qu’un cimetière d’automobiles rouillées.

Bavure

Vu sur CNN (ou BBC ?) – en décembre 2005.

A la Nouvelle-Orléans, un homme a été tué par des policiers.

Sur une vidéo d’amateur, on le voit mis en joue par une douzaine de personnes. Un voisin raconte : il était connu dans le quartier pour être bizarre mais pas dangereux.

Il aurait menacé les policiers avec un petit couteau (sic).

Fin du reportage. Interview du porte-parole de la police, qui explique: Les policiers étaient en état de légitime défense (! ?). Ils lui ont demandé de jeter son couteau, il n’aurait pas voulu. On lui a envoyé alors des gaz lacrymogènes, mais sans aucun succès.

Finalement, il s’est mis à chanter d’une façon bizarre – et on a dû l’abattre !

Le journaliste parlait de « bavure ».