En hommage à l’Italie

L’Italie socialement m’a rendu la parole. Je ne savais pas la langue, or j’ai, à l’imprévu, pu la saisir dans tout ce qui est élémentaire, ce qui pouvait d’ailleurs ensuite me rendre plus aisée « la poésie ». Ce n’est pas Paris, c’est la Province qui m’a délié l’esprit. L’Italie semble offrir directement ce dont la Suisse romande se détourne: une immédiateté orale, une complicité avec le secret intime. Le tragique est caché différemment.

Maurice Chappaz, Quelques gouttes de pluie d’une vie avec Gilbert Rossa, Conférence n°21, automne 2005, pp. 295-296

(Lecture: il y a au royaume de la fiction un village situé entre Stendhal et Borgès qui s’appelle Sciascia. Il ne grandira plus désormais mais ses rues – que je connais mal – , à la fois étroites et aérées, sont très belles. En général, la qualité de la littérature italienne contemporaine est une discrétion qui étonne: un art de créer des paraboles sans leur dérouler de tapis, une façon pour ainsi dire pragmatique d’écouler la mélancolie.)

Jean-Christophe Bailly, Phèdre en Inde, Plon, p. 115

Cette durable rumeur d’essieux

Et maintenant je te quitte de nouveau, il reste devant moi ce voyage, cette durable rumeur d’essieux et le passage, à peine en dehors de nous, de tous les lieux les plus désirés mais qui ne s’attardent pas et nous confient seulement pour une seconde leur beauté, afin qu’indistincte et muette, elle nous tente plus tard, et soit la source d’un poème.

Gilbert ROSSA, Lettre à Maurice Chappaz – 25 août 1941, in Conférence n°21

Le progrès

afghanistan1En 1939, Ella MAILLART visite l’Afghanistan1. Elle découvre, dans une vallée, une filature construite par des ingénieurs allemands2.

Elle écrit à ce sujet: Essayant d’analyser ce que j’avais éprouvé en découvrant cette filature cachée au cœur de l’Hindou Kouch, je demandai aux Allemands si cela ne les inquiétait pas de penser à la misère que cette grande construction avait déjà causée dans la vallée. Les acquisitions techniques de notre civilisation ne sont-elles pas une malédiction lorsqu’elles arrachent les Afghans à leur milieu et les plongent trop brusquement dans une vie qui n’a pas été faite pour eux ? Mais ces ingénieurs n’étaient pas disposés à reconnaître que leur centrale électrique déracinait la vie des indigènes. Naturellement, ils mentionnèrent le Progrès, notre dieu émacié qui profite des guerres. C’était leur travail de construire, et tant qu’ils construisaient, ils étaient contents. Heureux ceux qui ont la vue courte et ne voient pas plus loin que ce qu’ils peuvent toucher ! Continuer la lecture de « Le progrès »