La Suisse romande

La Suisse romande est une île dans l’histoire, dans ses profondes petites géographies. Elle peut apparaître absolument masquée. Nous nous avançons comme le mineur. Voici un demi-siècle, il y avait une nature intacte (si intensément belle partout), un peuple aussi juste intact (avec la vérité des métiers et la naïveté des troupeaux de bêtes), tout baignant dans une si stricte pensée administrative qu’autre chose cheminait en nous jusqu’à la révolte. En même temps qu’une louange.

Maurice Chappaz, Quelques gouttes de pluie d’une vie avec Gilbert Rossa, Conférence n°21, automne 2005, pp. 296

Livres et bibliothèques

La revue Conférence présentait naguère (n°24, printemps 2007) quelques pages consacrées aux livres et à la lecture, avec des contributions de Giuseppe Pontiggia, Maurice Chappaz, François Debluë, Brian Stock.

Christophe Carraud a choisi, traduit et présenté les pages de Giuseppe Pontiggia sous le titre Livres et bibliothèques. Je ne peux que vous encourager à vous y plonger – voir le site de Conférence. L’accès à l’intégralité des textes exige de s’abonner, mais c’est une dépense largement compensée par un vrai bonheur de lecture. N’hésitez pas ! Pontiggia, écrivain, critique littéraire, admirable érudit est plein d’humour. Sa passion des livres est illustrée ici dans une suite jubilatoire de petits chapitres. Les intitulés en constituent le programme: Enfer et paradis de la librairie ancienne / Catalogues et vices / Sur l’achat des livres /  Voyages aux alentours / De la fureur d’avoir des livres et de les accumuler / Bibliothèques en flammes / « Lisez-vous un livre par an ? » / Le livre comme expérience / Hesse et la bibliothèque universelle / L’utile littéraire / Le chien et la tortue / L’utile pour le lecteur / Goûteurs de livres / Lecture créative / Auteur, lecteur et non lecteurs / La réception de la littérature / Entretien éclair / L’orgueil de l’ignorance / Sur la réanimation d’un vice / Un livre pour la nuit / L’exposition d’Isis / Lire.

Il y a là 50 pages de pure jouissance pour les amateurs de livres.

Par ailleurs, profitez-en pour explorer le site consacré à Pontiggia.

L’adresse

Où il est question de l’adresse :  à qui s’adresse mon cri ? à qui s’adresse ce geste de création, ce foisonnement de l’écriture, ce mouvement, ce pas de danse, cet élan du corps, cet envol de la voix, cette poussée du souffle ?

L’homme qui s’écrit/s’écrie: l’homophonie n’est pas neutre. Et le cri, c’est bien plus que l’adresse à un public. Maurice CHAPPAZ écrit quelque part (A-Dieu-vat, p. 179), que l’homme qui écrit appelle sa mère aussi.

Il est curieux de noter que plusieurs auteurs, aussi différents que Chappaz, Vonnegut ou Lu Xun, pressentent une adresse similaire: celle qui va au public d’une seule personne.

Je soupçonne que toute création qui possède une unité vraie et une harmonie bien à elle est le fait d’un artiste ou d’un inventeur qui a dans sa tête une personne bien précise qui lui sert de public.

Kurt VONNEGUT, Le cri de l’engoulevent, p.24

La création, même quand elle n’est qu’un épanchement du coeur, souhaite se trouver une audience. La création est sociale par définition même. Mais elle peut fort bien se contenter d’un seul lecteur : un vieil ami, une amante. (LU XUN, cité par Simon LEYS, in Écrits sur la Chine, p. 715)

Ma table de travail

Roses PalJ’ai sous les yeux, quand je travaille, ces roses de Palézieux. J’ai acheté cette petite gravure à Genève, par une après-midi d’hiver. Elle m’accompagne de son or et éclaire doucement le bureau sur lequel j’écris.

La revue Conférence a rendu de fréquents hommages au dessinateur, dans plusieurs numéros. Les éditions de Conférence ont aussi publié plusieurs livres d’exception, avec des gravures de Gérard de Palézieux: notamment un texte de Maurice Chappaz (Voici le garde-voie) et un texte de Philippe Jaccottet (Très peu de bruit).

Jaccottet a publié chez Fata Morgana (2005) ce petit hommage: Remarques sur Palézieux. Il y écrit notamment:

(…) des objets nourris, caressés, comme approfondis par le temps, des objets immobiles, arrêtés, et que voilà rassemblés dans une chambre qu’on ne voit pas mais qu’on devine silencieuse, fermée (et le paysage lui-même a souvent quelque chose d’une chambre), arrangés avec un soin patient, un tendre respect, sur une table, comme sur un autel domestique, pour un culte sans éclat, rendu à voix basse à une divinité silencieuse et sans nom.

Pour aller plus loin, voyez aux éditions de La Dogana, la très belle monographie consacrée à Palézieux.