Un engagement politique

Depuis longtemps, j’ai acquis la conviction et j’ai vu se confirmer que la pratique artistique, singulièrement la pratique musicale collective, est une forme d’engagement politique, bien au-delà d’une simple acquisition technique dans le développement d’une virtuosité personnelle.

Engagement politique ? vraiment ? J’ai pu penser qu’il s’agissait d’abord d’un engagement éthique, mais je persiste aujourd’hui à le voir comme un véritable engagement politique, au sens du vivre ensemble. A.Negri disait que c’est l’action qui constitue le commun. La musique d’ensemble, en commun, a donc un rôle à jouer, un rôle politique et social. Elle est le témoignage actif de notre capacité à « sortir du cadre », à vivre une expérience qui ne peut être que collective, à toucher une dimension unique de notre humanité. Elle est la manifestation de notre façon de vivre ensemble, de créer du lien, d’établir et de conforter le sens – comme direction et signification.

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Le Potlach

Dans le film d’Eric Pauwels, qu’il a précisément intitulé Les films rêvés (2009), [disponible sur Universciné], à 7’30 », Jean ROUCH parle du Potlach:

C’est le fait de partager le surplus. Et nous avons tous un surplus de rêve, de moyens, de nourriture, … qu’il faut partager. Et pour moi c’est une chose complètement essentielle, c’est le gaspillage nécessaire. Il est nécessaire de gaspiller son énergie et ses richesses à une seule condition, c’est gaspiller avec des gens qui feront la même chose la prochaine fois.

Je note: intéressant de mettre en rapport ce gaspillage nécessaire avec la pratique amateur, avec le désir de partager le surplus (notre temps libre, notre talent, notre liberté d’artiste, …). Quelquefois, le Potlach est en échec, parce que les personnes qui participent au même projet ne sont pas prêtes à faire la même chose la prochaine fois. J’ai parfaitement expérimenté cette situation, dans laquelle le déséquilibre des échanges finit par hypothéquer tout projet. La réponse se trouve aussi dans la responsabilité partagée. La pratique collective est un espace de responsabilité collective. J’ai souvent répété: le groupe vous apporte ce que vous venez chercher quand vous lui apportez ce que vous attendez de lui. En d’autres mots: le collectif vous rend ce que vous contribuez à construire du collectif.

Le chemin

A l’origine, au début de la pratique, dans la plupart des cas, il n’y a pas de projet. Il y a l’occasion, la rencontre, le petit déclic qui vous poussent sur une voie plutôt que sur une autre, le choix d’une des nombreuses potentialités de la vie, que l’on exerce sans savoir, avant de réaliser qu’un autre choix eut été possible. Il n’y a donc pas de projet. Ce qui n’exclut pas qu’il y ait, dans la perspective qui s’ouvre, de l’espoir.

L’espoir est comme ces chemins sur la terre : à l’origine il y avait pas de chemins; mais là où les gens passent sans cesse, un chemin naît. [Lu Xun, cité par Simon LEYS, Écrits sur la Chine, p. 720]

Le chemin, que l’on va tracer en le parcourant, se substitue au projet, il devient lui-même un projet. Guillevic a écrit : Il n’y a pas de chemin / Pour mener au chemin / Que l’on n’aurait qu’à suivre. Et Machado, dans ce célèbre poème : Caminante, no hay camino, se hace camino al andar.

Le chemin devient donc ce projet, le projet se construit peu à peu et se confond avec le chemin parcouru. Pourtant, un vrai projet prend forme, parfois en peu de temps, parfois après de longues années de pratique. Je sais que mon projet de direction de chœur, ma vision, tels qu’ils peuvent exister aujourd’hui et que je sois en mesure de les transmettre, ont mis plus de 10 ans avant de prendre une forme pérenne, complète.

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Exposés

Dans la pratique musicale en général, mais singulièrement dans la pratique vocale collective – l’ensemble vocal tel que je le conçois en particulier – nous sommes tous exposés. Chaque chanteur l’est et le chef de chœur encore un peu plus.  Il faut le savoir, et le respecter.

Je note [en septembre 2012] chez Simon Leys1:

Les grands interprètes s’effacent pour mieux servir l’œuvre qu’ils présentent; mais, paradoxalement, dans la mesure même où ils réussissent à effectuer cette oblitération dans leur interprétation, ils exposent de façon plus subtile et plus complète leur propre sensibilité et leur propre tempérament. Chaque note d’un grand pianiste, chaque trait d’un grand calligraphe deviennent un miroir de l’interprète lui-même – ce que les Chinois appellent « une empreinte de son cœur ».