Je danse

Fin mai 2014, je danse avec Thierry Heynderickx et Martha Rodezno. Dès les premières minutes de ces trois jours d’atelier, un grand moment de reconnaissance. Je m’y retrouve, presque étonné de cette soudaine fraternité ou comment leur projet commun et leur travail sur le mouvement, sur l’expressivité, sur les émotions, sur l’intime, rencontrent mon projet et le travail que je mène depuis des années avec les chanteurs. Il est question du même mouvement, de la même dynamique, de la même recherche…

Nous sommes quelques stagiaires, danseuses et danseurs, et d’autres, musiciens, thérapeutes. Beaux moments de découverte, d’échanges, de drôlerie, de vérité, de confiance en somme. Nous travaillons sur mouvement/immobilité; silence/son; intériorité/extériorité; solo/collectif, toujours dans la recherche de l’authenticité – autant que possible, du geste, de la posture, du regard, de la voix, du mouvement. Tout est dans le lien: lien à soi, lien aux autres, lien à ce qui nous entoure, nous englobe, nous pénètre: l’air, la lumière, les sons extérieurs familiers ou étranges, la chaleur des corps. C’est un tissage du lieu, du temps qui forme la trame de notre danse.

Très beaux moments de découverte bienveillante. L’attention est centrée sur la pensée positive. La pensée d’un encouragement de moi à moi, sur ce que je peux faire, ce que je sais faire, même déjà depuis/dans le moment de l’écoute immobile. Positive aussi dans le déploiement des possibles : ce que je n’ai pas encore fait, ce que je n’ai pas encore réussi à faire, les chemins encore inexplorés, ce qui reste à faire, ce qui reste ouvert. Je m’appuie sur mon expérience – un passé individuel et collectif, et construis un futur de même. Grande importance du collectif, même dans le solo, qui se déploie sous le regard (bienveillant) des autres. Continuer la lecture de « Je danse »

Agir par la poésie

J’ai été un militant politique et syndical actif. Sans renier mes convictions, j’ai choisi ensuite d’agir dans et par la poésie. Parce que j’ai foi en la poésie, en sa capacité à hausser les consciences, et que je crois comme Giuseppe Conte que « la poésie est la première forme de résistance spirituelle ». Parce qu’elle subvertit la langue commune et les représentations molles de la réalité, elle est une objection fondamentale à l’affaiblissement des consciences. Non pas tant en raison de ce qu’elle dit, mais de ce qu’elle est.

Jean-Pierre SIMEON, Un art du partage

Résistance

   À une époque où chacun se voit sommé de réussir et d’être performant, peut-être n’a-t-on jamais autant parlé de mal-être et de souffrance sociale. Naguère, les individus se regroupaient sans doute plus spontanément de façon collective pour combattre l' »oppression » ou l' »exploitation » ; ils inscrivaient leur souffrance dans une communauté humaine. Aujourd’hui, beaucoup de nos contemporains consultent, individuellement, le corps médical ou des psychologues. Les plus fragilisés par les logiques économiques actuelles et la pression sociale éprouvent un surcroît de tension. Ils ne trouvent plus d’espaces de reconnaissance et souffrent de voir sur l’écran de télévision l’argent s’étaler, les richesses déborder ; alors que leur quotidien devient de plus en plus précaire.

Une culture du ressentiment se développe. Elle fragilise nos démocraties. Comment permettre, alors, à chacun de trouver sa place ? Comme retrouver le sens du mot « société » ? De quelle manière agir face à l’inquiétante montée des inégalités sociales ? Qu’est-ce qui peut nous faire passer d’une solitude habitée par la crainte d’autrui à la solidarité active et non-violente ? Comment résister à la tentation « sécuritaire » tout en se sentant en « sécurité » ? En électronique, la résistance est un conducteur dans lequel toute l’énergie électrique est transformée en chaleur. Transposée dans le domaine social, la résistance doit être comprise, dans ce livre, comme l’énergie sociale qui se manifeste, en puissance ou en acte, sous la forme d’une solidarité joyeuse et d’une espérance vécue. Face à la froideur des logiques d’exclusion et des courses au profit, la résistance met en mouvement des forces, parfois insoupçonnées, en stimulant la production de chaleur humaine. Il convient alors, plus que jamais, de l’organiser.

Fred POCHÉ, Organiser la résistance sociale, 2005

Je note, pour moi, sur un coin de table, et je souligne que la capacité d’indignation est sans doute, aussi, un puissant facteur de résistance.

Une pratique collective

Au-delà du développement de la singularité, c’est la communauté qui est en jeu dans la pratique collective. De tous temps, j’ai gardé une préférence, un attachement pour la pratique artistique collective. L’exercice de la polyphonie, pour moi, est largement supérieur à la pratique individuelle. Ce qui est absolument passionnant, c’est l’interaction, l’aller-retour, la dynamique d’échanges constants entre le singulier et le commun, entre soi et les autres, entre les singularités respectives. Le lien au commun s’augmente de la profondeur et de la solidité des singularités, s’ancre dans le centre, dans le poids spécifique de cette communauté de sens qui est tout sauf grégaire. Ce qui est au coeur de cette expérience unique, c’est autant le partage des compétences que le partage émotionnel.

La pratique commune a du sens. La communauté se constitue dans l’action, souligne Antonio Negri. Et Jean-Luc Nancy rappelle que le geste de culture est lui-même un geste de mêlée : c’est affronter, confronter, transformer, détourner, développer, recomposer, combiner, bricoler. Cet espace du commun – du partage de singularités affirmées – ne risque pas de se dissoudre dans un tout indifférencié, il n’est pas en opposition avec l’espace individuel, espace d’autonomie, de conscience et de liberté, mais au contraire le lieu du risque, de la rencontre poussée dans ses plus larges avenues, en usant de toutes les potentialités de l’individu authentiquement libre et personnel.

Nous nous rencontrons, nous échangeons autour de la création de quelques-uns, nous mettons en mouvement nos sensibilités, nos imaginations, nos intelligences, nos disponibilités. La culture n’est rien d’autre que le nous extensible à l’infini des humains.

(Monique Chemillier-Gendreau, in La culture lien entre tous donc bien public universel, LNA37).

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