Inventer de nouveaux récits

Par analogie avec le travail des chercheurs et des philosophes (voir à ce sujet le très riche ouvrage dirigé par Emilie Hache, De l’univers clos au monde infini), je note que les artistes sont dans la nécessité d’inventer aujourd’hui de nouveaux récits. C’est aussi la découverte que j’ai renouvelée récemment en travaillant avec Th.Heynderickx et Martha Rodezno.

Les mots d’Emilie Hache font sens pour un musicien, pour un danseur:

Quels mythes font aujourd’hui tenir le monde face à la possibilité de son démembrement ? (…) Il faut renouveler nos modes de perception, notre sensibilité; pouvoir répondre à ce qui est en train de nous arriver.

Le récit, comme puissance d’affecter et de transformer. [je souligne]
Les récits nous font littéralement tenir debout.

(…) il importe de dramatiser ce changement d’une façon qui tienne compte du passé, c’est-à-dire des situations existantes de destruction et de perte… [par analogie encore, le bouleversement de la dramatisation fondée sur notre imaginaire et sur les impulsions du corps en mouvement].

(…) il faut multiplier les zones de contact avec d’autres manières de sentir et de penser. [précisément, dans la pratique artistique, ce n’est pas métaphorique. Le fait que ce ne le soit pas, est essentiel]

(…) ce qui se fait défie toute appropriation.

Je danse

Fin mai 2014, je danse avec Thierry Heynderickx et Martha Rodezno. Dès les premières minutes de ces trois jours d’atelier, un grand moment de reconnaissance. Je m’y retrouve, presque étonné de cette soudaine fraternité ou comment leur projet commun et leur travail sur le mouvement, sur l’expressivité, sur les émotions, sur l’intime, rencontrent mon projet et le travail que je mène depuis des années avec les chanteurs. Il est question du même mouvement, de la même dynamique, de la même recherche…

Nous sommes quelques stagiaires, danseuses et danseurs, et d’autres, musiciens, thérapeutes. Beaux moments de découverte, d’échanges, de drôlerie, de vérité, de confiance en somme. Nous travaillons sur mouvement/immobilité; silence/son; intériorité/extériorité; solo/collectif, toujours dans la recherche de l’authenticité – autant que possible, du geste, de la posture, du regard, de la voix, du mouvement. Tout est dans le lien: lien à soi, lien aux autres, lien à ce qui nous entoure, nous englobe, nous pénètre: l’air, la lumière, les sons extérieurs familiers ou étranges, la chaleur des corps. C’est un tissage du lieu, du temps qui forme la trame de notre danse.

Très beaux moments de découverte bienveillante. L’attention est centrée sur la pensée positive. La pensée d’un encouragement de moi à moi, sur ce que je peux faire, ce que je sais faire, même déjà depuis/dans le moment de l’écoute immobile. Positive aussi dans le déploiement des possibles : ce que je n’ai pas encore fait, ce que je n’ai pas encore réussi à faire, les chemins encore inexplorés, ce qui reste à faire, ce qui reste ouvert. Je m’appuie sur mon expérience – un passé individuel et collectif, et construis un futur de même. Grande importance du collectif, même dans le solo, qui se déploie sous le regard (bienveillant) des autres. Continuer la lecture de « Je danse »

La corporéité

Fred Poché 1 souligne la place centrale du corps.

(…) nous n’avons pas, à proprement parler, un corps, mais nous sommes, chacun, un corps. Consentir à la corporéité, c’est laisser une place à la ritualité, au « contact » avec l’autre, au consentement à l’aide que peut nous apporter autrui et que nous pouvons lui apporter. 2(…)

P D C – Posture, direction, contact

PDC est un petit outil que j’utilise depuis plusieurs années: Posture, Direction, Contact.

Pour le travail vocal de l’ensemble, voici ce que je rappelle régulièrement:

  • la posture: la position du corps, la stabilité, la bascule du bassin et la sensation du centre de gravité, l’attitude d’ouverture (épaules, bras, ventre, bassin, pieds), à l’identique de ce qu’on apprend au théâtre.
  • la direction : il s’agit d’adresser (symboliquement et physiquement) la voix, d’offrir la musique à l’auditeur, … Elle doit être orientée, dirigée vers …
  • le contact : c’est une autre façon de désigner ce que Daïnouri Choque nomme l’intensité. Il faut que la voix soit adressée avec assez de force, que le corps soit suffisamment engagé pour que l’on puisse ressentir ce contact (avec le son, avec l’espace). On peut utiliser l’image d’un contact [symboliquement] engagé avec un écran, avec un mur (celui de la pièce, de la salle, de l’église où l’on chante) sur lequel le son doit se ficher, s’accoler, …. Katelijne Van Laethem exprimait cela encore autrement. En néerlandais, elle utilisait le terme ‘uitdagen’, qu’on peut traduire par ‘défier, provoquer (en duel)’. Il s’agissait ainsi de défier l’espace, de chercher l’engagement – comme un duelliste – avec le lieu. L’arme, puissante, vive, lumineuse, c’est sa propre voix, son propre son.

Pour appliquer la formule de la PDC, il faut le double mouvement – contraire – de (re)centrage sur soi et d’ouverture. On revient toujours à ces fondamentaux.