Les qualités poétiques

[Gérard Genette cite Stanley Fish]

Ce n’est pas la présence de qualités poétiques qui impose un certain type d’attention, mais c’est le fait de prêter un certain type d’attention qui conduit à l’émergence de qualités poétiques.

Il ajoute: Ce propos vaut à coup sûr, selon moi, pour toute espèce d’oeuvre d’art, et plus généralement toute espèce d’objet esthétique (objet naturel, comme un arbre, une pierre, un visage, ou artefact humain soustrait à d’autres fins, ou abandonné sans fin aucune), lui-même souvent dépourvu d’intention mais jamais à l’abri d’une éventuelle attention esthétique.

Gérard GENETTE, Apostille, p. 167

L’hommage au rocher

Pour dominer l’univers naturel, l’homme occidental s’est séparé de lui. Cette attitude héroïque, agressive et conquérante à l’égard de l’environnement est bien illustrée par l’exemple dans l’art des jardins classiques (…) où la nature est soumise, déformée, violée, réduite et taillée de façon à devenir entièrement conforme à une géométrie et un dessin que lui impose l’homme. Dans une telle perspective, rigoureusement anthropocentrique, les formes et les motifs naturels, non façonnés de main d’homme, et dont la complexité mystérieuse ne reflète celle d’aucun cerveau, acquièrent automatiquement quelque chose de menaçant. Leur autonomie hermétique limite et met en question l’empire de l’esprit humain. Les Chinois, eux, avaient renoncé à dominer la nature afin de demeurer en communion avec elle. (…) On pense aussitôt au geste exemplaire de Mi Fu, représentant admirable et typique de l’esthétique chinoise à son point d’apogée (XIe siècle) : Mi, arrivant au poste de l’administration provinciale où il venait d’être nommé, mit ses vêtements de cour, mais au lieu de faire d’abord sa visite de courtoisie au préfet local, il alla présenter ses hommages à un rocher célèbre pour ses formes fantastiques.

Simon LEYS, La forêt en feu, in Essais sur la Chine, p.585-586