Etre un hôte

Être un hôte (客), c’est être un objet (客体). La langue japonaise ignore les notions de sujet et d’objet. Aussi fallut-il créer des mots nouveaux à partir d’idéogrammes chinois. Le mot employé pour « sujet », shutai (主体) se compose du signe renvoyant à l’hôte donnant l’hospitalité (主) et de celui signifiant « corps » (体). Pour moi le sujet est donc le corps de celui qui accorde l’hospitalité. L’objet, lui, ressemble au corps de l’hôtesse recevant l’hospitalité.

Yoko Tawada, Trois leçons de poétique, p. 56

Faire le tour du globe ?

Lorsque j’ai commencé à écrire en allemand, distinguer le ciel d’un ciel était pour moi un problème grammatical. Comment savoir qu’une chose existe une fois ou plusieurs ? Pour être certain de la singularité d’une chose, il faut une vue d’ensemble sur l’univers entier. J’apprenais en cours de langue qu’il faut écrire « une porte » quand il y en a plusieurs autres, tandis que s’il s’agit de la porte d’entrée, je peux écrire « la porte d’entrée ». Comment puis-je vraiment savoir s’il y en a une autre ou si celle que j’ai devant moi est bien la seule ? Faut-il commencer par fouiller l’immeuble entier ? Faut-il, à chaque fois qu’on doit décider de l’article à employer, faire le tour du globe en bateau pour contrôler l’ensemble ?

Pour moi, écrire en allemand, c’est faire comme si s’offrait à mes yeux une image du « tout ». Il faut aussi garder une vue d’ensemble sur le temps. Et pour cela, le temps doit avoir un début et une fin. Le lapin d’hier, une fois qu’il s’est montré dans le texte, s’appelle le lapin et pas un lapin. Mais les lapins sont connus pour se multiplier rapidement et partout. Comment savoir si le lapin que je vois est le lapin ? Et comment en irait-il autrement chez les dieux ? Eux aussi se multiplient vite et partout, sinon il n’y aurait pas tant de dieux rien qu’au Japon.

Yoko TAWADA, Trois leçons de poétique, p. 24

Une stratégie de révolution graduelle: l’ikki

Nadine et Thierry RIBAULT1 rapportent qu’un de leurs correspondants, actif après Fukushima, revendique l’adoption d’une stratégie de la révolution graduelle. Notre lutte consiste à fabriquer notre propre espace autonome. L’ikki, c’est quelque chose comme ça, ce sont des actions persistantes menées sur le long terme (…).

Et l’anthropologue Masanori Oda: Contrairement à la révolution, l’ikki ne s’inscrit pas dans une grande histoire, mais dans une petite narration, une petite histoire. L’Égypte ou la France, ce sont de grandes histoires. Au Japon, nous n’avons jamais eu de révolution. La révolution nous est dictée ou montrée par les Occidentaux. A la place de ce type de révolution, nous sommes en mesure de créer cent ou mille ikki.

Cette stratégie de « la mort par mille entailles » (nashikuzushi no ikki) fait le pari que de multiples micro-transformations individuelles pourraient introduire des éléments d’irréversibilité susceptibles de modifier le système social existant.

Tant qu’il y aura du papier

Parfois le monde m’irrite et m’ennuie; certes il me semble impossible de vivre un instant de plus, je voudrais m’en aller et me perdre je ne sais où; mais si, alors, je mets la main sur du joli papier ordinaire, très blanc, sur un bon pinceau, sur de l’épais papier blanc de fantaisie, ou sur du papier de Michinoku, je me sens disposée à rester encore un peu sur cette terre, telle que je suis …

Sei SHÔNAGON, Notes de chevet, citée par L.Schlechter, Le murmure du monde, p. 99