Occidentite aigue

Dans son carnet sur Résurgences1, Jean SUR formule cette définition particulièrement caustique (mais pleine d’enseignement):

Occidentite aigüe: mélange de sagesse précautionneuse, de bavardage solennel, de désir de sieste, de politesse, de ressentiment. Ne pas penser selon soi-même, préférer les grands mots creux, les hochements de tête entendus.

Le progrès et les progressistes

Comment marche le progrès ? (…) Le progrès, c’est de rentrer en soi, de ne rien y chercher, de se contenter de ce qu’on y trouve. Le progrès, ce n’est pas de progresser ; le progrès, c’est de régresser pour récupérer, pour reconnaître, pour raccommoder, pour s’approcher humblement du mystère et mieux l’écouter. Les crabes marchent sur le côté. L’allure des humains dignes de ce nom est plus complexe. Pour avancer, il leur faut reculer ; et pour monter, descendre. Ils compriment au maximum le ressort de la vie qui est en eux jusqu’à ce que, sans rien leur expliquer de ses raisons, il les catapulte où ça lui chante. Bien sûr il existe aussi des gens qui confondent la vie avec une course en sac et vont devant eux aussi loin et aussi vite qu’ils le peuvent jusqu’à la bûche. Ainsi font les tyrans, les managers, les chauffards, les illuminés.

Jean SUR – Le marché de Résurgences 35

Et, en écho, je note dans ce sens une évocation du « lâcher-prise » par Elisabeth GODFRID:

Le paradoxe du progressiste, c’est qu’il pense beaucoup plus au passé qu’à l’avenir. Sa tension vers l’objectif à atteindre, qui réduit son champ de vision en imposant à ce prophète de disgracieuses œillères, le fixe aussi, surtout s’il est sincère, sur l’obsession d’un présent à dépasser qu’il a précisément la hantise constante de ne pas dépasser, ou pas assez. Le progressiste met ses espoirs dans un horizon qui recule toujours, mais ce maudit présent à quitter et à oublier devient un modèle négatif qui le paralyse ; en quelque sorte une paire d’œillères de secours.

L’idée de relation

Tout passe donc par l’approfondissement constant de l’idée de relation, conçue non pas comme système diplomatique en vue de ménager des occasions de compromis ou d’excitation mais comme conscience intérieure de la présence du monde. Non pas comme source d’obligations morales ou psychologiques, mais comme l’élargissement d’une solitude qui ne se perd jamais de vue. Non pas la relation pour satisfaire aux exigences d’un statut ou d’une appartenance, pour servir un intérêt supérieur dont elle serait le moyen ou l’instrument, mais comme expression première, en fait et en droit, de la réalité. Non pas la relation comme crispation de la volonté, comme prétexte à torture, comme jeu d’échecs de l’âme, mais comme possibilité d’abandon toujours renouvelée, comme recours toujours plus secourable, comme seule médiation possible.

Jean SUR, 68 forever, Arléa, p. 72

La solitude

On ne peut faire l’économie de ce constat, de cette reconnaissance intime (…) pour illustrer la difficulté de la communication humaine: personne ne rêve à la place d’un autre. Cela prouve à la fois la solitude de l’homme dans son rapport à lui-même, et son incapacité à faire passer dans la parole le fond de son être, sa propre part d’inconnu.1.

Jean Sur cite Duns Scot: ad personalitatem requiritur ultima solitudo. La personnalité requiert l’ultime solitude. Donc, non pas d’abord l’adhésion, l’intégration, la participation, la communication, etc.

Et Simone Weil: Solitude. En quoi donc en consiste le prix ? Le prix en consiste dans la possibilité supérieure d’attention.2.