L’idiome fondamental

L’écriture constitue un cas à part, une technique particulière dans un ensemble sémiotique largement oral. (…) Mais nous ne connaissons aucune population sur cette planète, qui ignore la musique. (…) Elle est l’idiome fondamental de la communication de la sensibilité et du sens.

George STEINER, Les Logocrates

S’il nous arrive de parler au monde, le monde nous parle-t-il et s’il parle, parle-t-il de nous ?

Jacques LACARRIERE, Sourates

Le chaos-monde

Nous vivons dans un bouleversement perpétuel où les civilisations s’entrecroisent, ou des pans entiers de culture basculent et s’entremêlent, ou ceux qui s’effraient du métissage deviennent des extrémistes. C’est ce que j’appelle le chaos-monde.

On ne peut pas agir sur le moment d’avant pour atteindre le moment d’après. Les certitudes du rationalisme n’opèrent plus, la pensée dialectique a échoué, le pragmatisme ne suffit plus, les vieilles pensées de systèmes ne peuvent comprendre ce monde. Je crois que seules des pensées incertaines de leur puissance, des pensées du tremblement où jouent la peur, l’irrésolu, la crainte, le doute, saisissent mieux les bouleversements en cours. Des pensées métisses, des pensées créoles.

Edouard GLISSANT, Le Monde2, 31-12-2004

Le son que personne d’autre n’entend

Dans les livres on lit que parfois, et à certaines périodes de l’année, par des mouvements spontanés, les étoiles, en s’approchant du soleil, dilatent leurs ceintures lumineuses. Aussi arrive-t-il qu’occupant un espace inhabituel et plus vaste, certaines d’entre elles se touchent et que le monde en résonne. Comme la clarine d’un troupeau qui marche et marche dans la nuit, jusqu’au fleuve; et à la naissance de l’aube, le son, en s’éloignant, se fait de plus en plus reculé, de plus en plus d’outre-tombe, et devient un son au-dedans de nous que personne d’autre n’entend.

Domenico REA, La fille de Casimiro Clarus