Le chemin du passé

Le chemin du passé est facile d’accès (n’importe quel souvenir de temps révolus permet d’y entreprendre une excursion), le trajet est rapide et commode (quelques moments de calme suffisent généralement à opérer la transition) et sur place les restrictions de circulation s’avèrent quasiment inexistantes (la mémoire et l’imagination, les plus intimes et inventifs compagnons de route, y veillent systématiquement). Et quel que soit le déroulement du voyage, on peut progresser à un rythme confortable, que l’on explore des sites d’intérêt particulier ou que l’on se rende d’un endroit à une autre, sans tracas ni hâte. Aussi est-il parfois quelque peu déconcertant de retourner brutalement dans le pays du présent, si enclin à la précipitation.

Keith Basso, L’eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert, p. 25

Nos promesses

En ce qui concerne le passé, nous ne pouvons nous fier qu’au souvenir, a dit l’éditeur.

Oui, ai-je dit. C’est un peu embêtant.

Embêtant ? a-t-il dit.

Il semble que nous ayons besoin de l’histoire, ai-je dit. De l’histoire et des récits. C’est pour cela que nous avons inventé la mémoire.

Non, a-t-il poursuivi, c’est pour cela que nous devons croire en la mémoire. Grâce à elle, nous pouvons rester fidèles au passé. Sans la mémoire, nous serions perpétuellement en train de trahir toutes nos promesses et de manquer à nos devoirs, nous renierions tout ce qu’un instant plus tôt nous tenions pour sacré, nous n’aurions aucune raison de prendre notre prochain dans nos bras. Nous ne saurions pas que la fleur s’appelle géranium. La mémoire est le ciment de nos fors intérieurs, sans mémoire nous éclaterions comme des capsules de graines desséchées.

Et qu’est-ce qui pourra donc germer en nous ? ai-je voulu savoir.

Rien, a dit l’éditeur.

Torgny Lindgren, Souvenirs, pp. 14-15

Jean FOLLAIN

Dans Tout instant, ce recueil admirable, d’une langue précise, limpide, semée parfois d’images surprenantes, comme des pépites dans une rivière aux reflets étonnants, Follain évoque – à travers les objets – le temps (perdu) de son enfance, celui d’un monde disparu. L’image de la faïence ébréchée, du bol brisé, des fragments de vaisselle est la métaphore de ce recueil de fragments, de textes courts, souvenirs, éclats du temps. Le discours interrompu, l’évocation d’un instant, rendu soudain extraordinairement vivant par une annotation, un mot, un geste, précisément inscrits dans un souvenir incarné.

(…) J’ai peur qu’il ne tombe de mes mains …

(…) Il arrive que la vaisselle tombe des mains des femmes.

(…) le plat s’écrase à terre, montrant sa cassure sombre.

Pourquoi alors avoir le sentiment que le monde est merveille ? Est-ce parce que la servante est belle ? (…) Continuer la lecture de « Jean FOLLAIN »