L’état du réel

Ce conglomérat d’objets et de circonstances que nous avons coutume d’appeler « le réel », et qui conditionne aussi bien nos pensées que nos comportements, ce réel donc, n’est ni stable ni immuable. Cette précarité détermine et conditionne le phénomène poétique dans son principe même.

Il n’est pas nécessaire de rêver, d’être ailleurs, ni même de s’abîmer dans les gouffres de la métaphysique, pour se trouver soudain au coeur du flux des sentiments, des sensations, des souvenirs et des désirs qui irrigue toute parole poétique. L’imperceptible transformation qui modifie, de seconde en seconde, l’état du réel y suffit largement.

Gil JOUANARD, L’eau qui dort, p. 9

Les qualités poétiques

[Gérard Genette cite Stanley Fish]

Ce n’est pas la présence de qualités poétiques qui impose un certain type d’attention, mais c’est le fait de prêter un certain type d’attention qui conduit à l’émergence de qualités poétiques.

Il ajoute: Ce propos vaut à coup sûr, selon moi, pour toute espèce d’oeuvre d’art, et plus généralement toute espèce d’objet esthétique (objet naturel, comme un arbre, une pierre, un visage, ou artefact humain soustrait à d’autres fins, ou abandonné sans fin aucune), lui-même souvent dépourvu d’intention mais jamais à l’abri d’une éventuelle attention esthétique.

Gérard GENETTE, Apostille, p. 167

La poésie est résistance

Dans une émission de l’été, sur France Culture1, Erri DE LUCA, parle de son recueil de poésie, Aller simple (Solo andata).2

Erri De Luca nous explique: La poésie a été la plus forte machine de résistance du 20e siècle, pour ceux qui n’avaient foi en aucun dieu.

Il raconte un épisode – qu’il considère comme fondateur, pour lui-même – de la vie d’Anna Akhmatova : elle est dans une file en attendant de pouvoir rencontrer son fils qui est en prison. Une femme se retourne vers elle avec un visage sur lequel était passé le 20e siècle avec la charrue. Elle demande à Anna : Ça, vous pouvez le décrire ? Et Anna répond : Oui, je peux.

C’est ça la poésie ; la responsabilité qu’elle se prend, par la bouche d’Anna, de répondre au « ça » de cette femme et du vingtième siècle.