Programmer l’obsolescence

Dans les débats sur la durabilité – entendue comme la faculté de durer dans le temps, d’être pérenne – la programmation de l’obsolescence1 qu’organisent les industries des biens de consommation est sans conteste le modèle le plus pervers.

Si le soi-disant « progrès » avance avec un tel rythme, note Günther ANDERS, c’est que l’industrie telle qu’elle est devenue ne poursuit pas d’autre but que de livrer à l’obsolescence aussi vite que possible ses produits déjà vendus afin de garantir ainsi la continuité de sa production. (…) Si progrès désigne encore quelque chose, c’est alors le progrès dans la fabrication du périmé.2

Le progrès et les progressistes

Comment marche le progrès ? (…) Le progrès, c’est de rentrer en soi, de ne rien y chercher, de se contenter de ce qu’on y trouve. Le progrès, ce n’est pas de progresser ; le progrès, c’est de régresser pour récupérer, pour reconnaître, pour raccommoder, pour s’approcher humblement du mystère et mieux l’écouter. Les crabes marchent sur le côté. L’allure des humains dignes de ce nom est plus complexe. Pour avancer, il leur faut reculer ; et pour monter, descendre. Ils compriment au maximum le ressort de la vie qui est en eux jusqu’à ce que, sans rien leur expliquer de ses raisons, il les catapulte où ça lui chante. Bien sûr il existe aussi des gens qui confondent la vie avec une course en sac et vont devant eux aussi loin et aussi vite qu’ils le peuvent jusqu’à la bûche. Ainsi font les tyrans, les managers, les chauffards, les illuminés.

Jean SUR – Le marché de Résurgences 35

Et, en écho, je note dans ce sens une évocation du « lâcher-prise » par Elisabeth GODFRID:

Le paradoxe du progressiste, c’est qu’il pense beaucoup plus au passé qu’à l’avenir. Sa tension vers l’objectif à atteindre, qui réduit son champ de vision en imposant à ce prophète de disgracieuses œillères, le fixe aussi, surtout s’il est sincère, sur l’obsession d’un présent à dépasser qu’il a précisément la hantise constante de ne pas dépasser, ou pas assez. Le progressiste met ses espoirs dans un horizon qui recule toujours, mais ce maudit présent à quitter et à oublier devient un modèle négatif qui le paralyse ; en quelque sorte une paire d’œillères de secours.

Le progrès

afghanistan1En 1939, Ella MAILLART visite l’Afghanistan1. Elle découvre, dans une vallée, une filature construite par des ingénieurs allemands2.

Elle écrit à ce sujet: Essayant d’analyser ce que j’avais éprouvé en découvrant cette filature cachée au cœur de l’Hindou Kouch, je demandai aux Allemands si cela ne les inquiétait pas de penser à la misère que cette grande construction avait déjà causée dans la vallée. Les acquisitions techniques de notre civilisation ne sont-elles pas une malédiction lorsqu’elles arrachent les Afghans à leur milieu et les plongent trop brusquement dans une vie qui n’a pas été faite pour eux ? Mais ces ingénieurs n’étaient pas disposés à reconnaître que leur centrale électrique déracinait la vie des indigènes. Naturellement, ils mentionnèrent le Progrès, notre dieu émacié qui profite des guerres. C’était leur travail de construire, et tant qu’ils construisaient, ils étaient contents. Heureux ceux qui ont la vue courte et ne voient pas plus loin que ce qu’ils peuvent toucher ! Continuer la lecture de « Le progrès »