Le rêve

(la plupart de nos rêves ne possèdent qu’une plénitude close. Désagréables ou heureux, leurs énigmes ont une sorte de suffisance dans laquelle nous pouvons sans fin nous tourner et retourner sans que rien ne change dans notre vie. Mais parfois, en des nuits très rares, il arrive qu’un songe constitue l’une de nos heures essentielles, qu’il éclaire, sans la moindre démonstration, le chiffre de nos jours, qu’il nous transporte là où notre désir d’infini et la conscience de notre finitude ne sont qu’un, là où les préoccupations de la vie usuelle, téléguidée et partant de faux maître, nous interdisent bien souvent de nous tenir : en notre âme même.)

Pascal RIOU, En notre âme même, Conférence n°22

Chaque chemin est un chant

Les Aborigènes, quand ils reproduisent un itinéraire chanté dans le sable, dessinent une série de lignes interrompues par des fruits oranges. Une ligne représente une étape de voyage de l’ancêtre (habituellement une journée de vélo). Chaque fruit est un « arrêt », un « point d’eau » ou un lieu de campement de l’ancêtre.

Bruce CHATWIN, Le Chant des pistes

Gilles CLEMENT, qui rapporte cette citation dans Une brève histoire du jardin, ajoute :

Dans la culture nomade aborigène, chaque chemin est précisément décrit par un chant. En chantant son chemin, on rencontre des gens du même « rêve » que soi.

J’aime à penser aussi que chaque chant trace un chemin symbolique.

Lire aussi le CHEMIN.

L’indicible

J’entends par « indicible » le bleu du ciel cet après-midi, par exemple : c’est une expérience assez simple, celle d’un brusque manque de langue au moment où vous avez le plus envie de parler. (…) Je n’aurai pas capté ce bleu : ce sera pour un autre jour. Il ne s’agit pas d’inspiration, seulement d’être momentanément conducteur, pour laisser passer à travers soi et le réel et la langue. Peut-être fallait-il une situation légèrement différente, avec un peu plus de poids du réel, et une moindre surveillance de langue… Un début de fatigue, ou d’ivresse ? Étranges moments où l’on sait qu’un poème aurait pu s’écrire en déplaçant un peu les réglages intérieurs. Mais on ne sait ni quels réglages ni comment déplacer…

Antoine EMAZ, Cambouis

A de très nombreuses reprises, dans ses romans, André Dhôtel semble faire le même constat : Continuer la lecture de « L’indicible »

Une écriture asociale

Je rêve d’une écriture analytique, là encore sans trop savoir ce que j’entends au juste par là. Peut-être d’une écriture qui serait asociale – comme le rêve, comme l’analyse, comme la lecture, comme l’amour qui est aussi « vie secrète » – et trouverait dans les ressources du langage le pouvoir d’atteindre tout un chacun en ce qu’il a de plus intime et de plus étranger (heimlich, unheimlich) . A moins qu’il ne nous faille souscrire à cette formule, superbe et déroutante, de Pascal Quignard: « L’invention de l’écriture est la mise au silence du langage. »

J.B. PONTALIS, Traversée des ombres, p. 80