La totalité du son

Dans le travail d’ensemble, je demande que chaque chanteur/chanteuse fasse, lui/elle-même, la totalité du son; produise, pour soi, le son complet, l’expérience sonore complète, telle qu’il/elle voudrait l’entendre de la part de la totalité du groupe, et ne se contente pas de l’expérience sonore partielle de sa propre voix, dans la crispation inquiète d’une écoute individuelle, tournée vers soi, comme le seul fragment d’un tout. Faire tout le son, pas une partie du son !

Le résultat est significatif. D’abord parce que l’autonomie du chanteur comme sa capacité d’écoute s’en trouvent renforcées. Ensuite parce que la sonorité de l’ensemble gagne en densité, en rondeur, en plénitude. Avec pour effet, par la jouissance de l’écoute attentive, de renforcer le son commun dans le faisceau des voix individuelles.

Le son que personne d’autre n’entend

Dans les livres on lit que parfois, et à certaines périodes de l’année, par des mouvements spontanés, les étoiles, en s’approchant du soleil, dilatent leurs ceintures lumineuses. Aussi arrive-t-il qu’occupant un espace inhabituel et plus vaste, certaines d’entre elles se touchent et que le monde en résonne. Comme la clarine d’un troupeau qui marche et marche dans la nuit, jusqu’au fleuve; et à la naissance de l’aube, le son, en s’éloignant, se fait de plus en plus reculé, de plus en plus d’outre-tombe, et devient un son au-dedans de nous que personne d’autre n’entend.

Domenico REA, La fille de Casimiro Clarus

Accompagner

Claude LEFORT, dans une conférence qu’il a donnée le 17 novembre 2007, rappelle: dans toute démarche herméneutique, dans tout travail d’interprétation (d’un texte, d’un programme, d’une injonction,…), nous devons renoncer au projet de maîtriser le texte mais plutôt choisir l’accompagnement de sa signification. Il nous faut accompagner le sens et non vouloir le maîtriser.

Par analogie, je travaille sur ce geste d’interprétation: accompagner la ligne musicale et non pas vouloir en prendre possession. Physiquement, il est très important de figurer le geste de l’accompagnement, quand le bras s’arrondit pour laisser le passage, ou quand le bras s’offre pour accorder le pas, … etc.
Constamment , je reprends ce travail de l’accompagnement : ne prenez pas votre voix en otage, ne cherchez pas à maîtriser le son ou la musique, mais ayez simplement ce geste d’accueil, de soutien, … La sonorité de l’ensemble en est transformée. Mais – en répétition, et souvent ! – il faut absolument le geste.