Prendre parti

Le Monde diplomatique a la bonne idée, avec les éditions LLL (Les Liens qui libèrent), de publier dans une petite collection (Prendre parti) une série de textes majeurs, parus depuis 60 ans dans le mensuel.

Je découvre 3 textes de André GORZ:

  • Leur écologie et la nôtre
  • Pourquoi la société salariale a besoin de nouveaux valets
  • Bâtir la civilisation du temps libéré

Le premier date de 1974, il y a exactement 40 ans. Le deuxième de 1990 et le troisième de 1993. Les titres sont suffisamment explicites. Ils sont tous les trois d’une extraordinaire actualité, leur lecture est revigorante. Je les lis et relis. Et vous les recommande, toutes affaires cessantes.

Découvrir le monde: l’éveil

Les enfants de dix ans se réveillent et s’aperçoivent qu’ils sont ici-bas, ils découvrent qu’ils y sont depuis un certain temps ; est-ce triste ? Ils se réveillent comme des somnambules en marche ; ils se réveillent comme des gens qu’on a ranimés après une crise cardiaque ou qu’on a sauvés de la noyade, in media res, entourés de personnes et d’objets familiers, capables de faire mille choses. Ils connaissent leur quartier, ils savent lire et écrire, ils maîtrisent quelques bons vieux mystères et pourtant, ils ont l’impression qu’ils viennent juste de débarquer, de converger avec leur propre corps, de sortir d’une transe, de s’insérer dans une vie étrangement familière qui est en branle depuis longtemps.Comme tous les enfants, je me réveillai par bribes, par morceaux, au fil des années. Je me découvris moi-même et je découvris le monde, puis j’oubliai pour redécouvrir à nouveau. Je me réveillai de temps à autre, jusqu’au jour de septembre où mon père descendit le fleuve et où les périodes d’éveil se firent plus longues, où je fus plus souvent éveillée qu’endormie. Je remarquai la progression de l’éveil et prévis avec une logique terrifiante qu’un jour relativement proche, je serais continuellement éveillée, que je ne me rendormirais jamais et ne serais jamais plus libérée de moi-même.

Annie DILLARD, Une enfance américaine, pp. 24-25

Le présent

Il y a deux ans maintenant, j’ai découvert – au hasard de cette première matinée passée dans la belle librairie de Pierre Landry [Préférences, à Tulle], Annie Dillard. D’elle, le premier livre que j’ai lu s’intitule précisément Au présent 1. J’ai été immédiatement séduit, émerveillé ensuite plus encore par la découverte du Pèlerinage à Tinker Creek, qui est une exploration sensible et déterminante de la nature, dans son inépuisable révélation. C’est aussi l’incessante question de notre présence à ce monde qui vit, sans nous, d’une étrange vie indéchiffrable.

Annie Dillard note déjà, dans Une enfance américaine, son éveil au monde présent. Voici ce passage. Continuer la lecture de « Le présent »

L’agitation

L’espace : le développement des voyages témoigne de l’importance extrême qui lui est accordée. On aurait pu penser, naïvement, que les intenses flux électroniques engendrés par les « nouvelles technologies de l’information et de la communication » entre les êtres humains allaient, au moins en partie, se substituer aux flux des corps. Et certains de se réjouir par avance de cette évolution, combinant l’extension des échanges avec une baisse de la dépense entropique. La réalité est toute différente : les flux d’informations et de personnes augmentent conjointement. L’agitation est considérable.

Olivier REY, Quelle vie, quel voyage, avec qui ?1, in Conférence n°22, p. 16