Ce que nous ne voulons pas

Sans doute ai-je déjà tout écrit sur ce nous d’avant la maison, ce nous de nos années cinquante-soixante dont la lutte s’était concentrée exclusivement sur la prise de conscience et le refus de ce que nous ne voulions pas pour rester disponibles à ce que nous ne savions pas. Au contraire de ce que l’on prétend généralement, en effet, savoir ce qu’on veut c’est déjà accepter de limiter sa vie au connu, alors que savoir ce qu’on ne veut pas ouvre sur les surprises impensées de la vie. Bien sûr cela demande certainement beaucoup de courage – osons le mot – car l’édification sociale vous engage à limiter au connu le « sens » de la vie, alors que s’offrent à vous les champs illimités d’une façon d’être et d’exister sans autre modèle que les pulsions secrètes et incernables de votre personnalité.

Rezvani

Les coups de sifflet du réel

Je comprends ce que Jean-Christophe BAILLY [Tuiles détachées, p.71] décrit si bien quand il parle de ces coups de sifflet qui, de différents points, sont lancés par le réel lui-même.

Et je sens une grande proximité avec lui dans la suite de son propos:

Et ces appels, du moins ceux que j’entends et auxquels je prête attention, loin de provenir d’une seule direction, proviennent d’à peu près toutes; loin aussi de ne consigner qu’un domaine d’étude ou d’attention, ils en concernent beaucoup. Dès lors, ce qui s’ouvre au-delà de la séduction propre à chacun d’entre eux, c’est un tourment. Incapable en effet de résister à la multiplicité de ces appels distincts et éloignés les uns des autres, je me suis retrouvé bien souvent écartelé entre eux: n’étant spécialiste dans aucun domaine, je me suis jeté autant qu’il était possible dans des directions opposées, sans doute à terme réconciliables, mais le malheur est que ce terme lui-même dépasse de loin les possibilités d’une seule vie.

Il poursuit [p.74]: (…) il me semble que le réseau qui naît de ces distances, fût-il distendu, est pour moi le seul viable et que le « noyau dur » de ce que je recherche gagne en consistance à être ainsi approché et perdu par des voies diverses.

Les cataclysmes intérieurs

A la page 37 de ce captivant petit récit de Michaël Ferrier (Kizu [La lézarde], éditions Arléa), je note quelques lignes qui éveillent un écho dans le cahier que je remplissais il y a de nombreuses années.

Sans doute avons-nous tort, lorsque nous parlons de notre vie, de n’en retenir que la face la plus visible, les arêtes tranchantes, les épisodes dramatiques ou spectaculaires. Nous privilégions ce que tout le monde peut voir, ce qui est évident. Il faudrait pouvoir descendre dans l’épaisseur des jours, passer de l’autre côté de l’existence, sous l’écume des phénomènes. Etablir avec patience et minutie le décompte des séismes intérieurs, tenir le répertoire des cataclysmes inaperçus.

J’aime ce calme et patient recensement des tremblements du coeur, des sens et de l’esprit. Notre vie s’y retrouve toute entière.