Photographier le monde ?

(…) le monde se dérobe. Nous ne savons plus comment faire pour l’habiter. La manie de la photographie qui s’est emparée des touristes du monde entier en est un symptôme pathétique : symptôme de l’incapacité à voir, qui cherche à s’oublier dans l’illusion que sur les photographies, enfin, la malédiction sera levée. Sans cette illusion la situation du touriste serait intenable.

[Il cite Günther Anders, Obsolescence de l’homme]: Pour qui voyage de cette façon, le présent est dégradé au rang de quelque chose d’irréel et de fantomatique. Inutile de préciser qu’en voyageant ainsi, on ne voyage pas.

Illusion qu’un auxiliaire technique, la photographie, nous permettra de surmonter le hiatus qui s’est creusé entre nous et le monde. Les millions de pixel n’y peuvent rien.

Olivier REY, Quelle vie, quel voyage, avec qui ?, in Conférence n°22, printemps 2006, p. 20

Cette durable rumeur d’essieux

Et maintenant je te quitte de nouveau, il reste devant moi ce voyage, cette durable rumeur d’essieux et le passage, à peine en dehors de nous, de tous les lieux les plus désirés mais qui ne s’attardent pas et nous confient seulement pour une seconde leur beauté, afin qu’indistincte et muette, elle nous tente plus tard, et soit la source d’un poème.

Gilbert ROSSA, Lettre à Maurice Chappaz – 25 août 1941, in Conférence n°21

Retour à Torgau

Juin 2012. Je reviens à Torgau (Saxe). J’y étais au début de l’hiver précédent et j’avais eu envie de venir en été, revoir la vieille ville, le château, les bords de l’Elbe, le paysage de bois et de champs à perte de vue.

Jeudi matin. La route par Anvers, Eindhoven, Venlo aux Pays-Bas, puis Dortmund et Kassel; enfin Göttingen. Une étape.

Jolie ville, je m’y sens totalement dépaysé déjà. L’Université, quelques maisons anciennes assez remarquables, des clochers. Plusieurs bouquinistes et libraires d’ancien, auprès desquels il reste possible de faire des trouvailles. C’est bon signe. La ville universitaire alimente ce fonds, plein de petites curiosités.

Vendredi matin. La route vers l’Est. Je choisis de ne pas prendre l’autoroute et de traverser le Harz: collines, bois et landes à perte de vue, villages essaimés, maisons anciennes. Je m’arrête devant le château de Harzgerode. Le temple évangélique est immense et clair, avec trois étages de galeries qui en font un véritable théâtre. Je descends les pentes des collines vers la plaine. Longue traversée des bois de pins. Le soir, je suis à Torgau. Continuer la lecture de « Retour à Torgau »

Chaque chemin est un chant

Les Aborigènes, quand ils reproduisent un itinéraire chanté dans le sable, dessinent une série de lignes interrompues par des fruits oranges. Une ligne représente une étape de voyage de l’ancêtre (habituellement une journée de vélo). Chaque fruit est un « arrêt », un « point d’eau » ou un lieu de campement de l’ancêtre.

Bruce CHATWIN, Le Chant des pistes

Gilles CLEMENT, qui rapporte cette citation dans Une brève histoire du jardin, ajoute :

Dans la culture nomade aborigène, chaque chemin est précisément décrit par un chant. En chantant son chemin, on rencontre des gens du même « rêve » que soi.

J’aime à penser aussi que chaque chant trace un chemin symbolique.

Lire aussi le CHEMIN.