Nos déprédations…

Il est bien sûr parfaitement prévisible que le poids du contenu de votre existence va déterminer vos préoccupations présentes, et vous êtes tout à fait impuissant face à cet ensemble de souvenirs et d’idéaux. Vous savez très bien que, selon notre propre vision de myope, seules les étoiles sont à l’abri de nos pulsions destructrices. Nous ne constituons qu’une seule espèce sur un total estimé à cent millions. Bon nombre d’entre nous ont pris plaisir à savourer notre domination sur toutes ces espèces. En fait, nous avons créé certains aspects de la religion pour nous rassurer et nous convaincre que nous avons raison de souiller toutes ces autres espèces à notre guise. Nous avons organisé une théocratie virtuelle du viol de la terre qui garantit le caractère acceptable, sinon sacré, de toutes nos déprédations. Je me rappelle que ceci est le monde dans lequel je vis. Je connais tous les détails. Rien n’a changé depuis que Mark Twain nous disait que le Congrès abritait les seuls vrais criminels de notre pays. Ces politiciens ont organisé leur propre jeu de canasta dans lequel la terre elle-même constitue un facteur parfaitement dérisoire.

Jim Harrison, En marge

Le calligraphe

Le calligraphe relie le souffle qui l’anime à celui qui anime la substance des signes qu’il trace ; il entre en osmose avec l’essence des choses. En exprimant la vérité des choses, il exprime la sienne. Le pinceau, véritable «sismographe», enregistre le moindre frémissement de sa main, qui traduit ce qui vient de la profondeur de son être, sa véhémence, sa tendresse, sa sensibilité aussi bien charnelle que spirituelle, ses besoins de rectitude comme d’élan, de rigueur comme de grâce. Au plus haut de sa réalisation, il lui sera donné d’intégrer la grande rythmique universelle. La pulsion de l’homme rejoint là la pulsation du monde.

François CHENG et Alain REY, Dialogues, p.16