Responsable

L’autre est visage, tout entier visage. Et devant un visage, je n’ai aucun pouvoir. Je peux seulement, puisque ce visage est aussi parole, tenter de répondre, devenir responsable. Cela vaut pour les rapports d’amour, d’amitié, de collaboration, cela vaut dans la famille comme dans la société.

Olivier Clément

(merci, Cécile, pour cette citation)

Le visage

Le visage. Notre visage. D’abord un effort. Un effort inouï, millénaire pour rassembler les yeux, la bouche, le nez sur une même face, pour affronter le monde autrement que par les yeux écartelés des non primates. Que serait le dialogue humain si nos yeux étaient isolés de chaque côté du front, incrustés sur nos tempes comme chez la plupart des espèces animales ? (…) Pourrait-on véritablement penser, méditer, se concentrer sans ce symposium de nos sens, sans cette confrontation frontale ? Un visage n’est-ce pas d’abord cela : un patient rendez-vous d’organes vers le concile plénier de notre face ?

Jacques LACARRIERE, Sourates, La sourate du visage

La révélation du visage est révélation du langage lui-même. Par conséquent, elle n’a aucun contenu réel, ne dit pas la vérité sur tel ou tel aspect de l’homme ou du monde : elle n’est rien qu’ouverture, rien que communicabilité. Marcher dans la lumière du visage, signifie être cette ouverture, la supporter.

Giorgio AGAMBEN

Exultation

Et tous ces visages… Je n’entends plus rien, ne vois qu’eux, et dans la brutale alacrité de la jouissance qui m’emplit, je les bois avec une voracité goulue. Je les bois et les dévore, les savoure, me les incorpore, les fixe en moi à jamais. Car à ma grande surprise, j’ai pu vérifier qu’un visage que j’ai scruté avec ferveur pendant quelques secondes, je ne l’oublie plus. Dix, quinze, vingt ans plus tard, si je le revois, et serait-ce en un tout autre lieu et dans les circonstances les plus différentes, je sais immédiatement où et quand il s’est gravé en moi. Visages et regards – visages et regards – sans doute ma plus violente passion. Des milliers d’heures dans les rues, les cafés, les gares, sur les places, à les épier, les interroger, tenter de percer leur mystère, à me nourrir de tout ce que je leur dérobe, à les déposer en moi là où la vie tressaille, là où ils vont émouvoir ma part la plus avide, le plus ardente, me muer en une seule exultation.

Charles JULIET, Vers la rencontre, Les Cahiers des Brisants, 1980.

Le seul non-objet identifiable

Seul objet non chosifiable, toujours dérobé au nom de ce qui le désigne, jamais convaincu d’appartenir au monde: le visage, ultime grâce du regard autrement énucléé dans la lumière tronquée du jour; là, encore du visible se défend de n’être qu’imagerie, présence défunte dans l’une fois pour toutes. Le visage, seul non-objet d’être trop objet de nous-même, est l’unique lieu où l’univers vacille, où l’oeil s’engouffre au lieu de s’aheurter. Devant lui, le sens fait face à son revers: il se révulse de devoir se reconnaître dans le vide qui l’appelle, le vide qui le nomme à son tour. Il y a un abîme derrière la façade. Elle suinte d’une profonde haleine et laisse par ses failles siffler les vents de nul lieu. Un abîme où l’oeil reconduit sa spirale, privé des communes étrangetés du monde. Le mystère est bien là, dans le revers de l’autre. Ni dehors, ni dedans, cet objet se décrédite d’être face au monde et pile au vide, entre cornée et nerf optique. Comment faire de cette « chose » posée sur une béance une apparence à part entière ? Il faudrait pour cela la vider de son vide et retourner comme un gant l’univers par le dedans du crâne.

(…)

Le grand scandale de la multiplicité humaine est l’impossibilité où elle nous laisse de la visiter toute amoureusement, face après face, monde après monde, pendant l’éternité de son mystère.

Hubert HADDAD, Du visage et autres abîmes