Les techniques [dites] intelligentes

J’écoute – toujours avec bonheur – les chroniques d’Etienne Klein [France Culture]. Son billet du matin [le 8 novembre 2012] s’intitulait: Non à la dictature du simple. En voici quelques mots notés au vol.

Nous vivons moins dans une société de la connaissance que dans une société qui est l’aise avec la technique. Nous utilisons avec aisance les appareils conviviaux issus des nouvelles technologies, mais sans presque rien savoir des principes scientifiques dont elles découlent. Leur facilité d’usage fait que ces nouvelles technologies sont devenues des produits masquants de la science.

Pour dire et comprendre la science, il faut du temps ! La science est victime d’une crise de la patience qui touche tous les secteurs de la vie sociale. Il faut disposer d’un langage riche, capable de dénoter normalement mais aussi de connoter, un langage qui donnera sa part à la raison et sa part à l’émotion… bref, d’une véritable langue de culture et non pas d’une langue de service. Einstein disait: « Il faut rendre les choses simples autant que possible, mais pas plus simples. »

On ne peut pas s’empêcher d’avoir une inquiétude sur le sort du langage, tel qu’il est soumis désormais aux standards de la technique. Il est voué aux simplifications.

[Il cite Jean-Michel Besnier (in L’homme simplifié. Le syndrome de la touche étoile, Fayard)] « Quand l’homme et la machine fonctionnent de concert, la seconde impose au premier son format, qui se trouve ainsi limité et mutilé dans sa capacité à dire et à accueillir l’étrange, le nouveau, le subtil ou l’étonnant. »

Les techniques dites intelligentes nous rendent un peu bêtes.

Prendre parti

Le Monde diplomatique a la bonne idée, avec les éditions LLL (Les Liens qui libèrent), de publier dans une petite collection (Prendre parti) une série de textes majeurs, parus depuis 60 ans dans le mensuel.

Je découvre 3 textes de André GORZ:

  • Leur écologie et la nôtre
  • Pourquoi la société salariale a besoin de nouveaux valets
  • Bâtir la civilisation du temps libéré

Le premier date de 1974, il y a exactement 40 ans. Le deuxième de 1990 et le troisième de 1993. Les titres sont suffisamment explicites. Ils sont tous les trois d’une extraordinaire actualité, leur lecture est revigorante. Je les lis et relis. Et vous les recommande, toutes affaires cessantes.

Agir par la poésie

J’ai été un militant politique et syndical actif. Sans renier mes convictions, j’ai choisi ensuite d’agir dans et par la poésie. Parce que j’ai foi en la poésie, en sa capacité à hausser les consciences, et que je crois comme Giuseppe Conte que « la poésie est la première forme de résistance spirituelle ». Parce qu’elle subvertit la langue commune et les représentations molles de la réalité, elle est une objection fondamentale à l’affaiblissement des consciences. Non pas tant en raison de ce qu’elle dit, mais de ce qu’elle est.

Jean-Pierre SIMEON, Un art du partage

Le mot: démocratisation

Marc Dumont, dans un article sur l’excellent site EspacesTemps 1  attire notre attention sur de fatales confusions:

Sémantique, tout d’abord : en effet, le terme de démocratisation est utilisé dans tous les cas cités comme un synonyme ― c’est-à-dire un terme qu’il est possible de substituer à un autre ― de celui de « popularisation » ou de « généralisation ». Est-ce parce que le premier des deux est trop connoté idéologiquement ― le « peuple », bien peu actuel dans une société d’individus ? Quoi qu’il en soit, la démocratie correspond bien à une équation ― «δήμος dēmos + -κράτος, kratos» ―, suffixe absent dans l’idée de généralisation ou de popularisation. La généralisation ― ou démocratisation du terme ! ― est-elle par ailleurs aussi anodine que cela ?

On touche ici une seconde confusion d’ordre beaucoup plus théorique à laquelle nous allons maintenant nous attacher, entre une réalité et son discours, entre le politique et son expression, entre le pouvoir et le discours sur le pouvoir, par un habile tour de passe-passe.

La démocratie ne renvoie donc pas seulement au dēmos, au peuple, mais surtout à l’idée de gouvernement et au pouvoir. Lorsqu’on dispose d’un caméscope ou d’un mobile connecté 24h/24 sur internet, cela nous rend certainement conforme à l’ensemble des pratiques d’achat et de consommation moyennes des citoyens d’un pays, cela ne nous rend pas pour autant dotés d’un pouvoir ― à moins d’être celui d’un pouvoir d’achat, mais l’idée politique contenue dans la démocratie disparaîtrait du même coup, le pouvoir d’achat n’étant pas en lui-même directement lié à l’exercice d’une capacité politique (sinon de manière indirecte, à l’occasion d’une manifestation publique contre son explosion, par exemple).