La bêtise

©PHOTOPQR/L’ALSACE/Thierry Gachon

 

 

 

 

 

Ecoutez ici Nancy Huston:

Le 30 mai 2005, Nancy Huston publiait ce texte, dans lequel elle demandait la libération de Florence Aubenas. Très beau texte, sur une thématique qui m’intéresse depuis longtemps. Je ne trouve rien de plus effrayant que la bêtise, quand on peut résister à tout, à la cruauté, à l’ignorance, à l’intolérance. Mais pas à la bêtise, à ce que Flaubert nommait « le front de boeuf de la bêtise. »

Il y a, par aillleurs, des textes magnifiques sur la bêtise, des pensées riches. Prenons simplement ceux-ci: Stiegler, Deleuze, et puis Bobin, pour le dernier mot.

Seule une lutte contre la bêtise imposée par le contrôle du temps de cerveau disponible, càd par le populisme industriel, constitue une véritable possibilité de « réenchanter le monde »: de le rendre désirable, et par là de rendre à la raison son sens premier de motif de vivre (…): la raison comme sens de l’existence (et en cela comme sens de l’orientation).

Bernard STIEGLER, Réenchanter le monde, notamment p. 17, dans le manifeste d’Ars Industrialis. Continuer la lecture de « La bêtise »

Le rire de Marcel Detienne

Marcel DETIENNE est un anthropologue « comparatiste». Né à Liège (un compatriote !) en 1935, élève étranger à l’Ecole normale supérieure, il a fait une grande partie de sa carrière aux Etats-Unis comme professor of classics de la prestigieuse université Johns-Hopkins à Baltimore. Il est un des grands spécialistes de la Grèce antique, qu’il étudie pour la comparer aux autres cultures et civilisations.

Je lis notamment de petits ouvrages dans lesquels il analyse – avec quelle liberté et quelle vivacité d’esprit ! – ce qu’on peut entendre par « identité », ce qu’il appelle les « mythidéologies » dont les plus anciennes remontent à cette antiquité qu’il connaît bien. Je recommande notamment deux titres, qui oxygènent radicalement l’esprit, dans ces temps troublés de quête pathologique d’une identité illusoire: Comment être autochtone (du pur Athénien au Français racinien) (Seuil) et un tout simple Où est le mystère de l’identité nationale ? (éditions Panama).

En novembre 2009, il est interrogé par Sylvain Bourmeau, pour le site de Mediapart. C’est un entretien roboratif, parfaitement réjouissant, intitulé L’identité nationale, c’est l’hypertrophie du moi. L’entretien est d’autant plus réjouissant qu’on y entend Marcel Detienne régulièrement secoué par un rire contagieux. D’aucuns – dans les commentaires notamment – s’en sont émus: le sujet est trop grave, il n’y a pas de quoi rire ! Mais j’adore ce rire impertinent, le rire étonnant du philosophe ! Toute la candeur d’une intelligence acérée est là, quand elle évite de se prendre au sérieux.

La servitude volontaire

Pour le moment, je désirerais seulement qu’on me fît comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un Tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’on lui donne, qui n’a pouvoir de leur nuire, qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire.

Étienne de LA BOETIE, Discours de la servitude volontaire

et en écho, la pertinence de cette note de Günther ANDERS:

Notre obéissance est d’autant plus grande que nous sommes sûrs de notre illusion de la liberté.


Je complète, un peu plus tard [septembre 2011].

Beccaria le disait admirablement, il y a fort longtemps: « Les esprits des hommes, comme les fluides, se mettent toujours au niveau des objets qui les entourent. » On mesure la réussite d’une idéologie non pas à ce qu’elle parvient à imposer aux esprits, mais à ce qu’elle n’a pas besoin de leur imposer parce qu’ils le font désormais spontanément.

Christophe CARRAUD, Une gêne, Conférence n°32, p.320

Mimétisme

Dans une société de grande civilisation, il est essentiel pour la cruauté, pour la haine et la domination si elles veulent se maintenir, de se camoufler, retrouvant les vertus du mimétisme. Le camouflage en leur contraire sera le plus courant. C’est en effet par là, prétendant parler seulement au nom des autres, que le haineux pourra le mieux démoraliser, mater, paralyser. C’est de ce côté que tu devras t’attendre à le rencontrer.

Henri MICHAUX, Poteaux d’angle