Les mots exacts

En tant que citoyen je vais vous dire ce dont j’ai vraiment peur, c’est que nous ne puissions pas inventer les mots de la riposte. C’est-à-dire que nous nous laissions à ce point déborder par ce mauvais gouvernement par l’appauvrissement de la langue politique.

Dès lors qu’on prend les mots, d’une certaine manière – que ce soient les mots anciens ou nouveaux, peu importe – mais dès lors qu’on se met, faute de mieux, de guerre lasse, à employer les mots de l’adversaire, ne serait-ce que pour dire : Bon ben, l’assistanat … – en fait c’est plus compliqué que ça, ça n’existe pas ; à partir du moment où on a utilisé par exemple ce mot empoisonné, assistanat, on a perdu. Vous dites : l’étranger, c’est exactement la même chose.

Et donc, c’est ce qu’il y a aussi de machiavélien dans cet état d’urgence d’aujourd’hui, ce qu’il y a de plus politique aujourd’hui est peut-être ce qu’il y a de plus poétique, c’est-à-dire notre capacité ou non d’inventer les mots exacts du constat.

Patrick Boucheron, sur France Culture, La grande table, Caroline Broué, 2e partie, 1/7/2016 [25’38’’]

Eloge de l’insécurité

Si je veux être en sécurité, c’est-à-dire protégé du flux de la vie, je veux être séparé de la vie. Néanmoins, c’est ce véritable sentiment de séparation qui m’empêche de me sentir en sécurité. Être en sécurité signifie isoler et fortifier le » je », mais c’est justement la sensation d’être un « je » isolé qui me fait me sentir seul et m’effraie. En d’autres termes, plus je serai en sécurité, plus j’en aurai besoin.

Pour le dire encore plus clairement : le désir de sécurité et le sentiment d’insécurité sont la même chose. Retenir sa respiration revient à perdre son souffle. Une société fondée sur la quête de la sécurité n’est rien d’autre qu’une compétition de rétention de respiration, dans laquelle chacun est aussi tendu qu’un tambour est aussi rouge qu’une betterave. Nous recherchons cette sécurité en nous fortifiant et en nous enfermant de toutes sortes de manières. Nous voulons nous protéger en étant « exclusif » et « spécial », nous cherchons à appartenir à l’église la plus sûre, à la meilleure nation, à la plus haute classe, à la bonne coterie et aux gens « comme il faut ».

Ces défenses nous divisent, et mènent donc à davantage d’insécurité nécessitant davantage de défenses. Évidemment, tout cela est pétri de la certitude de sincère que nous nous comportons bien et vivons de la meilleure manière ; mais cela aussi est une contradiction.

Alan W.Watts, Eloge de l’insécurité (cité sur Périphéries)

Action – représentation

Quelque part, Günther Anders met en garde contre la menace que constitue, pour une société donnée, l’écart se creusant et touchant parfois au gouffre, entre ses moyens d’action (toujours — fatalement ? — plus grand et nombreux) et ses moyens de représentation (toujours — forcément ? — bornés et réduits, en retard) et qui consiste grossièrement à ne plus voir, savoir, ce qu’elle fait, à se complaire dans l’innocence sauvage de ne savoir pas.

Jean-Luc FONGERAY, Le Différend, in Compagnies de P.Bergounioux

L’usage du bonheur

Jean GIONO, dans Les terrasses de l’île d’Elbe1 donne une merveilleuse petite introduction à cette responsabilité du « bonheur des générations futures » !

On comprend alors que le seul moyen de faire le bonheur des générations futures c’est de faire le bonheur de la génération présente. (…) surtout parce que l’usage du bonheur donne des habitudes, crée des tempéraments, produits certaines modifications dans les passions (…).

J’aime beaucoup cette formule, qui est tout lui: « l’usage du bonheur donne des habitudes ».