Les camps

En 2012, premier voyage en solitaire vers l’est de l’Allemagne : j’en ai dit un mot. C’était la première fois que je prenais cette route que j’ai parcourue ensuite avec bonheur chaque année. Anvers, Eindhoven, Venlo, le passage encombré de la Ruhr, ensuite se laisser filer sur une route de crête vers Kassel, puis le détour par Göttingen. En 2012, je suis allé jusqu’à Torgau, puis retour par Leipzig, Naumburg et Weimar, Erfurt, Eisenach, … Cette année-là, j’ai gravi l’Ettersberg pour me rendre à Buchenwald. C’était un lundi, je m’en souviens parfaitement, le musée était fermé mais le camp était accessible au visiteur. Le choc fut immédiat et inoubliable : l’entrée passée, un panorama extraordinaire se déploie sous mes yeux, le plus beau paysage du monde, de champs, de prés, de forêts qui dévalent la colline et déroulent infiniment jusqu’à l’horizon embrumé une campagne magnifique. Comment concilier le souvenir de l’humiliation, de la torture et la mort avec un espace aussi splendide ? Je suis broyé par l’émotion.

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Retour à Dresde

Depuis 2013, je reviens à Dresde chaque printemps. D’une année à l’autre, le temps peut varier énormément. En ce début mai 2017, il fait froid et gris. Le soleil perce à peine quelques jours, quelques heures.

La route m’est devenue familière : Anvers, Eindhoven, Venlo, le très long contournement des villes de la Ruhr, Duisburg, Dortmund, puis le grand élan pour couvrir les 150 derniers kilomètres vers Kassel et pour atteindre enfin mon étape à Warburg. La petite ville est étonnante, perchée sur son coteau, les rues escarpées, l’église, le château.

Le lendemain, je suis en route vers Dresde et je passe ma deuxième nuit dans un petit hôtel de Reichenberg. L’église, tout à côté, sonne les heures, les demies, les quarts. Elle est très ancienne, entourée d’un cimetière où je passe beaucoup de temps à examiner les tombes et à enregistrer d’incroyables oiseaux chanteurs.

 

Les merles de Dresde

Depuis plusieurs années, je passe deux semaines en Allemagne, à Dresde. Comme mon séjour s’écoule en général dans les premiers jours de mai, le printemps est à son plein et couvert de chants d’oiseaux. En 2016, j’ai enregistré pour la première fois un rossignol virtuose qui, obsédant, sonnait le réveil chaque matin dès l’aube dans le jardin de la résidence étudiante où j’abrite mon séjour studieux. Mais ce sont les merles qui occupent, chaque année, la plus grande partie de l’espace sonore. Dresde est bien arborée, les environs sont comblés de jardins, les bords de l’Elbe cachent des trésors de potagers et de vergers, et la forêt toute proche – la Dresdner Heide, est immense.

Dès mon premier séjour, j’ai été intrigué par le chant des merles saxons. Il me semblait que ces oiseaux-là ne chantaient pas la même partition que les merles de mon jardin lillois. J’ai posé des questions autour de moi, j’ai fait part de mon étonnement, sans trouver de réponse formelle à ce qui n’était – peut-être -, qu’une impression mais que je voyais confirmée d’année en année.

Jusqu’à ce que je découvre, par hasard, une communication au Collège de France1 de Martine Hausberger, de l’Université de Rennes. Elle est éthologue et, avant de s’intéresser au cheval, a longtemps étudié le chant des oiseaux, le rôle des relations sociales dans leur apprentissage. Elle confirme bien que les oiseaux ont, en quelque sorte, des « zones dialectales » de l’ordre de 150 km². Les chants sont donc différenciés, la transmission joue ici un rôle majeur, l’apprentissage n’est donc pas le même dans mon jardin du Nord de la France et en Allemagne. J’avais donc « entendu » juste. Au-delà de la petite satisfaction due à ce succès, j’ai été touché de comprendre que, dans chaque région d’Europe, il est possible d’entendre une infinie variété de chants, non seulement en fonction des espèces, mais – au sein d’une même espèce – en fonction du petit « pays » de chaque oiseau. La découverte est donc permanente.

Ecoutez ce petit gaillard :

Tatami

L’agrément qu’il y a à dormir sur le tatami, c’est d’avoir ainsi le dos collé au sol, de faire corps avec la terre et — quand le calme et le silence de la nuit le permettent — de sentir et de partager la vaste rotation dans laquelle elle vous entraîne. Les couvertures tirées jusqu’au menton, les mains à plat le long du corps on fend l’espace comme un boulet chauffé au rouge. On pense aux autres corps célestes, aux orbites qui s’infléchissent et qui divergent, aux attractions, aux répulsions, aux lentes figures qui se tracent à des vitesses inconcevables.

Nicolas BOUVIER, Le vide et le plein