L’idée de relation

Tout passe donc par l’approfondissement constant de l’idée de relation, conçue non pas comme système diplomatique en vue de ménager des occasions de compromis ou d’excitation mais comme conscience intérieure de la présence du monde. Non pas comme source d’obligations morales ou psychologiques, mais comme l’élargissement d’une solitude qui ne se perd jamais de vue. Non pas la relation pour satisfaire aux exigences d’un statut ou d’une appartenance, pour servir un intérêt supérieur dont elle serait le moyen ou l’instrument, mais comme expression première, en fait et en droit, de la réalité. Non pas la relation comme crispation de la volonté, comme prétexte à torture, comme jeu d’échecs de l’âme, mais comme possibilité d’abandon toujours renouvelée, comme recours toujours plus secourable, comme seule médiation possible.

Jean SUR, 68 forever, Arléa, p. 72

La porte des parents

Écrire, c’est l’enfant qui se relève en pleine nuit et qui est dans la désolation de se découvrir seul et peut-être même abandonné et peut-être depuis toujours. Et cet enfant désolé et effrayé sort de sa chambre, traverse le couloir et va frapper à la porte des parents. Écrire, c’est le bruit que fait la main de l’enfant contre le bois de la porte des parents en pleine nuit.

Christian BOBIN dans un entretien avec Colette Fellous (France Culture, Carnet nomade, 9 mars 2008).

En écho, je note les derniers mots de J.B.PONTALIS dans Le Dormeur éveillé. C’est ici l’évocation de la même nécessité angoissée, de la même urgence, du même pas tremblant de l’enfant dans le silence nocturne.

Peut-être n’écrit-on jamais de livres, même les livres les plus sombres, les plus tourmentés, que pour éviter d’être précipité dans notre enfer, que pour tenter de civiliser cette sauvagerie que le cauchemar révèle crûment sans l’écran protecteur du rêve.
Des mots, des images, des traits, tout plutôt que le cri surgi de la détresse et de l’effroi, ce cri d’un enfant perdu que personne au monde n’entend.

L’art du tir à l’arc

Par analogie avec le zen japonais,  je note que le travail du chant s’appuie sur les mêmes fondements:  la pratique silencieuse, le soin, l’attention, le calme intérieur, le contrôle du souffle, la posture du corps et celle de l’esprit. Ce qui fonde aussi l’art chevaleresque du tir à l’arc.

Ne pas choisir, mais agir en réponse à la situation exacte, et la situation exacte ne peut être connue que dans un abandon de soi-même. Un bon samu demande d’avoir éliminé le plus gros de tous les germes perturbateurs qui ne cessent de vouloir se manifester dans l’esprit. C’est à dire maintenir l’esprit dans une vacuité foncière, connue par la pratique et la purification du karma, les actes justes et sans restes. Ce n’est pas une discipline compliquée : il s’agit de s’appuyer simplement sur votre véritable état naturel. Cent choses, pourtant, peuvent vous en tenir éloigné à une distance incommensurable. Le désir de trop bien faire, par exemple, vous tiendra aussi éloigné du geste naturel que la négligence. Encore l’ego. Naturellement, ce que l’on ne sait pas faire, on peut rarement le réussir du premier coup. Il faut un long apprentissage, répéter cent fois tous les gestes de la tradition sur le métier.

Antoine MARCEL, Traité de la cabane solitaire, p. 32-33

On consultera avec profit E.HERRIGEL, Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc.

Les écluses de l’inachevé

Jean SUR explique quelque part que le pouvoir – qu’il appelle cette crispation prétentieuse et puérile du moi n’est, précisément, rien. Il faut donc abandonner le pouvoir, la crispation, pour la liberté du lâcher prise et de la confiance. Le pouvoir empêche l’accès au monde et l’accès à soi-même. Il parle de rouvrir les écluses de l’inachevé et du mystère. Au-delà de la formule, un programme ! qui est magnifique.