Faire danser les mots

La plus juste parole n’est surtout pas celle qui prétend « dire toujours la vérité ». Il ne s’agit même pas de la « mi-dire », cette vérité, en se réglant théoriquement sur le manque structurel dont les mots, par la force des choses, sont marqués. Il s’agit de l’accentuer. De l’éclairer – fugitivement, lacunairement – par instants de risque, décisions sur fond d’indécisions. de lui donner de l’air et du geste. Puis, de laisser sa place nécessaire à l’ombre qui se referme, au fond qui se retourne, à l’indécision qui est encore une décision de l’air. C’est donc une question, une pratique de rythme: souffle, geste, musicalité. C’est donc une respiration. Accentuer les mots pour faire danser les manques et leur donner puissance, consistance de milieu en mouvement. Accentuer les manques pour faire danser les mots et leur donner puissance, consistance de corps en mouvement.

Georges Didi-Huberman, Gestes d’air et de pierre, p.9

Le corps au travail

Il y a une musique dans le corps humain comme dans le corps des animaux. Il y a une musique, je l’ai reconnue dans mon corps pendant ma vie d’ouvrier, les années de travail vendu: dans la journée, quand le corps était entièrement soumis au travail, la répétition des mêmes gestes finissait par prendre un rythme musical et le corps était mieux à même de soutenir l’effort s’il avait ce rythme musical en lui. Et quand on en prend conscience, on se met à chanter, non pas pour exprimer sa joie ou parce qu’on est heureux, mais parce que le corps a besoin de ce rythme qui le fait monter à la surface. Finalement la tête s’en aperçoit et commence à chanter dans le rythme que le corps lui suggère. Il y a une partition musicale que déploie le corps au travail.

Erri De Luca, entretien avec Laure Adler, in L’entretien n°2.

A s’y perdre…

C’est quand même un laboratoire incroyable, le corps. Mais, ça je pourrais être un peintre et vous le dire ; le corps est un laboratoire de recherche, de compréhension de l’homme, bien sûr, de l’humanité, du désir, de la pensée. C’est vraiment à s’y perdre, et c’est ça qui est très beau.

Olivier DUBOIS. Noté au vol sur Arte le 2 mars 2015, .

Improvisation

En travaillant avec Martha Rodezno.

Elle nous rappelle « la main » de l’improvisation, à entendre comme les 5 doigts [5 éléments, à nouveau ?] de cette main:

  • le mouvement
  • la respiration
  • le son
  • l’imagination
  • la communication

Tout marche ensemble, et rien n’a lieu véritablement s’il manque un des cinq. C’est l’improvisation du danseur, du chanteur, du musicien, …

Elle utilise cette image intéressante: il ne suffit pas de mettre les ingrédients dans la marmite, il faut aussi du feu sous la marmite, pour que « ça prenne ». En d’autres termes, il est indispensable de générer une action, de donner de l’énergie pour que quelque chose se passe. Le lâcher-prise, oui, mais pas au détriment de l’engagement énergétique, de l’investissement dans l’action. Et cet engagement est corporel, physique. Si l’improvisation a besoin d’une forme de lâcher-prise (ou comment oser …), il ne fonctionne pas dans la pure écoute passive, mais dans cette « réciprocité actuante » où chaque danseur, acteur, musicien improvisateur est actif, à un niveau d’énergie suffisant pour être présent à soi et présent à l’autre.

Et la qualité du rapport à soi, authentiquement – mais comment l’évaluer, comme la mesurer ? – c’est surtout l’engagement, le choix délibéré de ne pas priver l’autre de soi-même.