Les pratiques

Il faut toujours envisager le fait de penser en termes de pratique, penser c’est une pratique. Ce n’est pas une technique qu’on apprend, quand bien même il y a une dimension d’apprentissage. C’est une chose sur laquelle Wittgenstein insiste beaucoup: il faut envisager l’ensemble des activités humaines comme des pratiques. Dans mon travail de théorie politique, je m’intéresse particulièrement aux pratiques artistiques et culturelles car pour la stratégie hégémonique que je prône, c’est une question qui est importante. C’est un point que Gramsci avait mis en lumière: la façon dont nous voyons le monde, ça a à voir avec les livres qu’on lit, le théâtre et le cinéma qu’on voit et, aussi, hélas, les médias. Pour transformer le sens commun, il faut faire en sorte que les individus soient en contact avec des pratiques très diverses afin de pouvoir voir les choses de façon différente. Dans ce domaine, les pratiques artistiques ont un rôle très important. Elles peuvent nous aider à changer notre perception, elles nous permettent de regarder les choses qu’on était habitués à voir d’une certaine façon, d’une autre manière. Elles peuvent contribuer à créer de nouvelles formes de subjectivité et à lutter contre le type de désirs que l’économie néo-libérale s’efforce de nous imposer.

Chantal Mouffe, entretien avec Laure Adler, in L’entretien n°2

Les arbres qui dansent

Il existe des arbres qui marchent ou des plantes qui n’ont qu’une feuille. J’évoque aussi une plante qui danse : la Codariocalyx motorius. Je l’ai observée dans un jardin botanique chinois, près de la frontière avec le Laos. Dès qu’il y a des sons, les folioles latérales de chaque feuille bougent. J’ai rapporté des graines au jardin botanique de Saint-Jean-Cap-Ferrat. Au départ, l’équipe scientifique du jardin était plutôt sceptique sur cette capacité de la plante à danser et pensait que ses mouvements étaient dus aux courants d’air engendrés par le souffle de la voix ou le battement des mains. Mais ils ont pu constater que la plante dansait au son d’un poste de radio. C’est encore un mystère, on ne sait pas pourquoi cette plante bouge. Son mouvement implique la présence de capteurs sonores, ce qui est très surprenant pour une plante. Depuis, j’ai pu constater que cette plante avait besoin d’entraînement, il faut la faire danser très tôt et entretenir cette faculté régulièrement en lui donnant des sons ou même de la musique.

Francis Hallé. Dans un entretien paru le 29 décembre 2016 (Libération), à l’occasion de la publication de son Atlas de botanique poétique (Arthaud).

La force de la magie

L’esprit, nanola – terme qui englobe l’intelligence, le pouvoir de discernement, la capacité d’apprendre des formules magiques et l’ensemble des aptitudes non-manuelles, aussi bien que les qualités morales – réside quelque part dans le larynx… La mémoire où gisent les formules et les traditions apprises par cœur réside plus bas, dans le ventre. La force de la magie, qui se cristallise dans les formules magiques, les hommes de la génération actuelle la portent dans leur corps… La force de la magie ne réside pas dans les choses: elle réside à l’intérieur de l’homme et ne peut en sortir qu’à travers sa voix.

Dit des îles Trobriand, Nouvelle Guinée. in Les Techniciens du sacré.

L’insatiable curiosité

Il s’agit de faire revivre l’émerveillement, l’espièglerie et l’insatiable curiosité de la petite enfance, mais à travers une profondeur de connaissance, un fonds d’expérience et une rigueur intellectuelle auxquels il n’est possible de parvenir qu’à l’issue de nombreuses années de vie et d’étude.

Tim INGOLD, Marcher avec les dragons, p. 12

L’insatiable curiosité ? Elle est peut-être un autre nom de l’inquiétude.

Pierre BERGOUNIOUX, Exister par deux fois, p. 213

Un adulte créatif est un enfant qui a survécu.

Ursula K. LE GUIN