Le chant magique des Achuar

La belle découverte de Philippe Descola. Lors de son 1er séjour chez les Achuar, un peuple de la haute Amazonie, entre Equateur et Pérou, il note :

Nous avons découvert que les Achuar passaient une grande partie du temps à chanter des incantations magiques pour communiquer avec des êtres qui étaient soit très loin, soit présents mais ne parlant pas leur langue. Ces incantations s’appellent des anent, qui vient de enentai, le cœur : ce sont des discours du cœur, des discours de l’âme, chantés mentalement, ou murmurés, mais dont les paroles sont difficiles à distinguer. Ce sont des injonctions adressées à des parents ou à un conjoint éloignés (par exemple, une femme chante à son mari parti en guerre de revenir sain et sauf ; ou un homme chante s’il est fâché avec son beau-frère pour essayer de l’apaiser en lui recommandant d’être bienveillant à son égard, etc.), ou des chants d’accommodement à l’égard des plantes ou des animaux.

En découvrant l’existence de ces incantations, en les enregistrant et en les traduisant, nous avons découvert que les Achuar communiquaient constamment avec des interlocuteurs non humains qu’ils traitaient comme des personnes. (…)

Philippe Descola, Une écologie des relations, CNRS Editions

La force de la magie

L’esprit, nanola – terme qui englobe l’intelligence, le pouvoir de discernement, la capacité d’apprendre des formules magiques et l’ensemble des aptitudes non-manuelles, aussi bien que les qualités morales – réside quelque part dans le larynx… La mémoire où gisent les formules et les traditions apprises par cœur réside plus bas, dans le ventre. La force de la magie, qui se cristallise dans les formules magiques, les hommes de la génération actuelle la portent dans leur corps… La force de la magie ne réside pas dans les choses: elle réside à l’intérieur de l’homme et ne peut en sortir qu’à travers sa voix.

Dit des îles Trobriand, Nouvelle Guinée. in Les Techniciens du sacré.