L’imprégnation

Le mot qui me convient le mieux, pour définir le lien entre deux personnes dans le contexte de l’enseignement, c’est celui d’imprégnation. Permettre que les processus de transmission soient des processus de compréhension physique et intellectuelle, d’imprégnation, et non des modèles de reproduction. Cet état de perméabilité à l’état de l’autre suppose de créer des conditions de transmission indirecte, où confiance et engagement réciproques sont nécessaires. L’idée de penser à une transmission par imprégnation permet de ne pas anticiper le moment où une chose va se passer, se transmettre, mais donne une chance au temps. L’imprégnation demande un rapport au temps plus lent, un rapport qui est moins dans l’efficacité immédiate, mais crée une valeur d’enracinement. (…) S’imprégner, c’est être autant sensible à la place et au moment de l’inscription qu’à sa transmission.

Mathilde MONNIER et Jean-Luc NANCY, Allitérations, conversations sur la danse, p. 50-51

Le manuel de langue

Un manuel de langue est fait pour être lu plusieurs fois à haute voix. On apprend par cœur des listes de vocabulaire où se rencontrent poétiquement des mots qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Et l’on apprend la grammaire en lisant des textes sur le pays. Mais le savoir n’atterrit pas pour autant dans le tiroir prévu pour lui, il reste en travers de la gorge, il dérange le corps du citoyen. Quand on fait des exercices de langue, on forme des phrases radicales, exprimant alors des choses qu’on n’aurait jamais dites sans cela. Parfois aussi, on s’endort et on rêve, car cela fait aussi partie de l’apprentissage d’une langue. (…)

Yoko TAWADA, Trois leçons de poétique, p. 34

L’enfer

L’enfer du vivant n’est pas chose à venir ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.

Italo CALVINO, Les villes invisibles, p.189

Depuis que l’homme ne croit plus à l’enfer, il a transformé sa vie en quelque chose qui y ressemble. C’était le moins qu’il pût faire.

Ennio FLAIANO, Autre mode d’emploi du meilleur des mondes possibles, in Conférence n°32, p. 348

Et BOBIN, avec cet humour indéfinissable [Ressusciter, p.137]:

J’aime bien cet endroit, la décoration a du charme, dit la petite jeune fille qui se trouvait en enfer.

L’art du tir à l’arc

Par analogie avec le zen japonais,  je note que le travail du chant s’appuie sur les mêmes fondements:  la pratique silencieuse, le soin, l’attention, le calme intérieur, le contrôle du souffle, la posture du corps et celle de l’esprit. Ce qui fonde aussi l’art chevaleresque du tir à l’arc.

Ne pas choisir, mais agir en réponse à la situation exacte, et la situation exacte ne peut être connue que dans un abandon de soi-même. Un bon samu demande d’avoir éliminé le plus gros de tous les germes perturbateurs qui ne cessent de vouloir se manifester dans l’esprit. C’est à dire maintenir l’esprit dans une vacuité foncière, connue par la pratique et la purification du karma, les actes justes et sans restes. Ce n’est pas une discipline compliquée : il s’agit de s’appuyer simplement sur votre véritable état naturel. Cent choses, pourtant, peuvent vous en tenir éloigné à une distance incommensurable. Le désir de trop bien faire, par exemple, vous tiendra aussi éloigné du geste naturel que la négligence. Encore l’ego. Naturellement, ce que l’on ne sait pas faire, on peut rarement le réussir du premier coup. Il faut un long apprentissage, répéter cent fois tous les gestes de la tradition sur le métier.

Antoine MARCEL, Traité de la cabane solitaire, p. 32-33

On consultera avec profit E.HERRIGEL, Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc.