L’imprégnation

Le mot qui me convient le mieux, pour définir le lien entre deux personnes dans le contexte de l’enseignement, c’est celui d’imprégnation. Permettre que les processus de transmission soient des processus de compréhension physique et intellectuelle, d’imprégnation, et non des modèles de reproduction. Cet état de perméabilité à l’état de l’autre suppose de créer des conditions de transmission indirecte, où confiance et engagement réciproques sont nécessaires. L’idée de penser à une transmission par imprégnation permet de ne pas anticiper le moment où une chose va se passer, se transmettre, mais donne une chance au temps. L’imprégnation demande un rapport au temps plus lent, un rapport qui est moins dans l’efficacité immédiate, mais crée une valeur d’enracinement. (…) S’imprégner, c’est être autant sensible à la place et au moment de l’inscription qu’à sa transmission.

Mathilde MONNIER et Jean-Luc NANCY, Allitérations, conversations sur la danse, p. 50-51

Un autre corps

Un autre — si c’est un autre, c’est un autre corps. Je ne le rejoins pas, il reste à distance. Je ne l’observe pas, ce n’est pas un objet. Je ne l’imite pas, ce n’est pas une image. L’autre corps se rejoue dans le mien. Il le traverse, il le mobilise ou il l’agite. Il lui prête ou il lui donne son pas. (…) L’autre, là-bas, proche dans son éloignement, tendu, plié, déplié, déjeté, retentit dans mes jointures. Je ne le perçois proprement ni par les yeux, ni par l’ouïe, ni par le toucher. Je ne perçois pas, je résonne. Me voici courbé de sa courbe, incliné de son angle, lancé de son élan. Sa danse a commencé à ma place. Il ou elle m’a déplacé, m’a presque remplacé.

Jean-Luc Nancy et Mathilde Monnier, Allitérations, p. 139 et ss.

Le rythme – la cadence – le temps

Rythme, cadence. Le rythme est de l’ordre de la figure fluide, de la poussée, du pulsionnel ou du pulsatif, du pouls. La cadence, de l’ordre du battement, de la battue des temps, de la montre. Le continu et le discontinu du temps, ou bien le temps/les temps.

Jean-Luc Nancy et Mathilde Monnier, Allitérations, p. 113

Une pratique collective

Au-delà du développement de la singularité, c’est la communauté qui est en jeu dans la pratique collective. De tous temps, j’ai gardé une préférence, un attachement pour la pratique artistique collective. L’exercice de la polyphonie, pour moi, est largement supérieur à la pratique individuelle. Ce qui est absolument passionnant, c’est l’interaction, l’aller-retour, la dynamique d’échanges constants entre le singulier et le commun, entre soi et les autres, entre les singularités respectives. Le lien au commun s’augmente de la profondeur et de la solidité des singularités, s’ancre dans le centre, dans le poids spécifique de cette communauté de sens qui est tout sauf grégaire. Ce qui est au coeur de cette expérience unique, c’est autant le partage des compétences que le partage émotionnel.

La pratique commune a du sens. La communauté se constitue dans l’action, souligne Antonio Negri. Et Jean-Luc Nancy rappelle que le geste de culture est lui-même un geste de mêlée : c’est affronter, confronter, transformer, détourner, développer, recomposer, combiner, bricoler. Cet espace du commun – du partage de singularités affirmées – ne risque pas de se dissoudre dans un tout indifférencié, il n’est pas en opposition avec l’espace individuel, espace d’autonomie, de conscience et de liberté, mais au contraire le lieu du risque, de la rencontre poussée dans ses plus larges avenues, en usant de toutes les potentialités de l’individu authentiquement libre et personnel.

Nous nous rencontrons, nous échangeons autour de la création de quelques-uns, nous mettons en mouvement nos sensibilités, nos imaginations, nos intelligences, nos disponibilités. La culture n’est rien d’autre que le nous extensible à l’infini des humains.

(Monique Chemillier-Gendreau, in La culture lien entre tous donc bien public universel, LNA37).

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