Se rencontrer

Se détacher de l’origine, apprivoiser et accueillir le vide de la séparation, permet le lien imaginaire avec un autre rencontrable. Celui qui reste fantasmatiquement fixé à l’origine, ne lâchant pas prise sur elle, ne peut accueillir ce qui arrive, être disponible, ouvert à l’inconnu en acceptant la part d’incertitude.

Elisabeth GODFRID, Des inventeurs pour une coexistence


On peut toujours se séparer. Le plus dur, c’est de se rencontrer.

Dans le très beau film Once we were stranger.


L’homme n’existe, ne se constitue, ne grandit, ne s’épanouit qu’à l’aide d’autres hommes. Le mystère de la relation dépasse de beaucoup le mystère de l’être.

Jean ZIEGLER, Retournez les fusils ! p. 12

Changement climatique

Il y a quelques jours, j’assistais à un colloque consacré à la conduite du changement climatique. Cette formulation – sur laquelle personne ne semble s’être interrogé – me semble bien étrange. On parle de, on échange sur, on met en œuvre la conduite du changement. C’est un poncif du conseil en organisation. Mais parler de conduite du changement climatique ! Peut-on conduire ce changement-là ? Ne serait-il pas plus approprié de dire n’importe quoi d’autre : observer, subir, supporter, suivre, anticiper, contrer, infléchir, modifier, éviter, laisser-faire, … le changement climatique. Ou, plus simplement : le penser. Mais cela suffit-il ? A défaut de pouvoir traiter cette question de la conduite du changement climatique, ne faut-il pas plutôt revenir sur l’inconduite des politiques, des marchands, des citoyens ? Ou encore, en inversant la formule: changer de conduite.

Mais nous avons soudain l’intuition qu’il est sans doute trop tard.

Trop tard par rapport à quoi ? Bien entendu, la question de la temporalité est centrale. L’urgence qui nous saisit est-elle réelle, objectivable, indépendante de nous ou relève-t-elle simplement de l’ordre de la pensée ? Pouvons-nous évaluer cette sensation diffuse, avons-nous vraiment conscience que nous sommes, sans le savoir, sur le fil du rasoir, sur cette arête entourée d’à-pics vertigineux que le brouillard de notre aveuglement nous dissimule jusqu’au dernier instant. Nous pensons sans doute encore avoir le choix : celui de subir courageusement comme celui d’éviter autant que possible le changement climatique. Alors qu’il n’y a probablement déjà plus de choix possible ; à cause de l’urgence – que nous percevons encore d’une façon illusoire comme celle d’un délai sans cesse ajouté ; à cause de l’étroitesse de l’arête sur laquelle nous courons. Le temps est-il, sur ce sujet, une contrainte dynamique ? Ou ne sommes-nous pas déjà au-delà du temps – quand penser l’urgence, c’est encore faire référence au temps, comme historicité, comme progrès, comme ligne de fuite ?

Nos postures – nos gesticulations – ne soulignent que l’irréversibilité du processus.

La seule attitude possible – parce qu’elle est digne, honnête et foncièrement optimiste sur le sort de notre humanité, est celle qui transforme les postures en actions, et crée ainsi de la communauté pour affronter l’avenir d’un monde devenu définitivement incertain.

L’expressivité du sensible

Mai 2013, Paris.

Je passe une attentive après-midi avec Thierry Heynderickx [Expressivité du sensible]. Il nous parle de l’expressivité, des émotions, et nous fait travailler. Nous sommes six participants. La journée est froide et pluvieuse.

Je note ensuite ce qui rencontre mes préoccupations de musicien, dans ma pratique de direction de chœur. J’ai le plaisir de la reconnaissance: j’y suis pleinement, c’est – dans le travail proposé par Thierry – très exactement ce que je cherche depuis des années.

La relation au corps en mouvement ne trouve pas seulement sa place dans le travail du comédien ou du danseur, mais dans la vie quotidienne de chacun d’entre nous.

C’est une relation perceptive, attentionnelle : comment développer l’attention lucide, délibérée, soigneuse, à l’expressivité ? [L’expressivité qui est à entendre comme un rapport qualitatif à son expression].

En privilégiant une continuité qualitative, dans le mouvement, pendant l’action et non après celle-ci. Une présence attentive et continue au mouvement de la vie.

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L’imprégnation

Le mot qui me convient le mieux, pour définir le lien entre deux personnes dans le contexte de l’enseignement, c’est celui d’imprégnation. Permettre que les processus de transmission soient des processus de compréhension physique et intellectuelle, d’imprégnation, et non des modèles de reproduction. Cet état de perméabilité à l’état de l’autre suppose de créer des conditions de transmission indirecte, où confiance et engagement réciproques sont nécessaires. L’idée de penser à une transmission par imprégnation permet de ne pas anticiper le moment où une chose va se passer, se transmettre, mais donne une chance au temps. L’imprégnation demande un rapport au temps plus lent, un rapport qui est moins dans l’efficacité immédiate, mais crée une valeur d’enracinement. (…) S’imprégner, c’est être autant sensible à la place et au moment de l’inscription qu’à sa transmission.

Mathilde MONNIER et Jean-Luc NANCY, Allitérations, conversations sur la danse, p. 50-51