La trace

[Ce post fait suite à L’expressivité du sensible, L’expressivité du sensible II]

Il est intéressant de noter que, à partir du travail du mouvement dans la pleine conscience du corps, s’installe une trace. Elle s’inscrit progressivement – dans la mémoire corporelle, dans l’écoute individuelle et collective. La répétition n’est plus alors un espace de reproduction technique, mais se vit comme une expérience répétée, renouvelée, d’expressivité, qui inscrit cette trace : trace de mobilisation du système nerveux, trace émotionnelle, trace de sens. C’est bien là pour moi l’enjeu véritable du travail répétitif.

Il est question du rapport au corps / à sa liberté / à son expressivité. Qui modifie complètement l’expression musicale, la qualité, l’émotion, et donc la transmission. Là tout se joue.

L’imprégnation

Le mot qui me convient le mieux, pour définir le lien entre deux personnes dans le contexte de l’enseignement, c’est celui d’imprégnation. Permettre que les processus de transmission soient des processus de compréhension physique et intellectuelle, d’imprégnation, et non des modèles de reproduction. Cet état de perméabilité à l’état de l’autre suppose de créer des conditions de transmission indirecte, où confiance et engagement réciproques sont nécessaires. L’idée de penser à une transmission par imprégnation permet de ne pas anticiper le moment où une chose va se passer, se transmettre, mais donne une chance au temps. L’imprégnation demande un rapport au temps plus lent, un rapport qui est moins dans l’efficacité immédiate, mais crée une valeur d’enracinement. (…) S’imprégner, c’est être autant sensible à la place et au moment de l’inscription qu’à sa transmission.

Mathilde MONNIER et Jean-Luc NANCY, Allitérations, conversations sur la danse, p. 50-51

La transmission

Dans une émission du samedi matin [en novembre 2007], animée par Alain Finkielkraut, Alain-Gérard SLAMA évoque la littérature. En vieillissant, dit-il en substance, je mesure de plus en plus que la littérature est le fondement, le tissu, le lieu d’une sociabilité réelle.

Il se refuse à utiliser le mot appartenance. Il fait en quelque sorte l’éloge de la transmission. Moi-même, je m’y reconnais, je suis l’héritier de cette tradition. Mes parents étaient tous les deux des lecteurs et ils m’ont transmis cette culture, par leur amour des livres et de la lecture. J’ai réalisé, il y a quelques années, que mon travail de direction de chœur était aussi largement animé par ce souci de la transmission. Et que l’objet en était un héritage que je sens à la fois extraordinairement partagé – le chant polyphonique est une pratique d’un grand nombre de peuples du monde, même s’il est profondément discrédité par une société marchande qui assure la promotion et la vente de produits culturels pré-formatés, et singulier – parce que j’y trouve ce qui fait mon caractère et mon plaisir de l’accord. Finkielkraut allait plus loin, dans où une voie où je refuse de le suivre : il parlait des professeurs d’aujourd’hui, en charge de la transmission de la culture classique, comme des membres d’une ONG humanitaire qui ne travaillent plus dans l’ordre de la transmission mais dans l’ordre de la pitié. Consternant ? … Terrifiant !