Les techniques [dites] intelligentes

J’écoute – toujours avec bonheur – les chroniques d’Etienne Klein [France Culture]. Son billet du matin [le 8 novembre 2012] s’intitulait: Non à la dictature du simple. En voici quelques mots notés au vol.

Nous vivons moins dans une société de la connaissance que dans une société qui est l’aise avec la technique. Nous utilisons avec aisance les appareils conviviaux issus des nouvelles technologies, mais sans presque rien savoir des principes scientifiques dont elles découlent. Leur facilité d’usage fait que ces nouvelles technologies sont devenues des produits masquants de la science.

Pour dire et comprendre la science, il faut du temps ! La science est victime d’une crise de la patience qui touche tous les secteurs de la vie sociale. Il faut disposer d’un langage riche, capable de dénoter normalement mais aussi de connoter, un langage qui donnera sa part à la raison et sa part à l’émotion… bref, d’une véritable langue de culture et non pas d’une langue de service. Einstein disait: « Il faut rendre les choses simples autant que possible, mais pas plus simples. »

On ne peut pas s’empêcher d’avoir une inquiétude sur le sort du langage, tel qu’il est soumis désormais aux standards de la technique. Il est voué aux simplifications.

[Il cite Jean-Michel Besnier (in L’homme simplifié. Le syndrome de la touche étoile, Fayard)] « Quand l’homme et la machine fonctionnent de concert, la seconde impose au premier son format, qui se trouve ainsi limité et mutilé dans sa capacité à dire et à accueillir l’étrange, le nouveau, le subtil ou l’étonnant. »

Les techniques dites intelligentes nous rendent un peu bêtes.

La littérature essentielle

Si la culture, et plus spécialement la littérature, n’est jamais que le commentaire réfléchi, approché, perçant, resplendissant de la vie, ou bien elle prend acte de ce que celle-ci est entachée, entre autres choses, de répugnantes disparités ou alors elle l’oublie. Mais si elle l’oublie ou le méconnaît ou le dénie, elle ne vaut pas une minute de peine. Ou elle conserve ce que je regarde comme sa vertu essentielle, qui est révélatrice donc libératrice, et alors elle mérite que nous lui consacrions le meilleur de nos soins, de nos peines, de nos veilles. Ou elle est un divertissement, même de qualité, même agréable, auquel on sacrifie un instant avant de s’en retourner intact, inchangé, indifférent aux affaires courantes, et alors elle peut bien périr sans que je lève le petit doigt. Là est la question.

Pierre Bergounioux, Exister par deux fois, p.131-132

Des organismes-personnes

A aucun moment, (…) l’enfant ne commence ni ne cesse de tisser sa vie avec d’autres vies, à partir desquelles ces modèles que nous appelons « culture » sont continuellement produits. (…) Nous sommes tous – et avons toujours été des organismes-personnes. Pourquoi alors ne pas écrire sur ces organismes-personnes en les décrivant non comme des entités délimitées, mais au contraire comme des nexus composés de fils noués dont les extrémités détendues se répandent dans toutes les directions en se mêlant à d’autres fils dans d’autres nœuds ? (…) Ils (les hommes) ne vivent pas à l’intérieur de leur corps, comme les théoriciens de la société se plaisent à l’affirmer. Leurs traces s’impriment sur le sol, via leurs empreintes, leurs sentiers et leurs pistes ; leur souffle se mêle à l’atmosphère. Ils ne restent en vie qu’aussi longtemps que subsiste un échange continu de matériaux à travers des couches de peau en extension et en mutation constante.

Tim INGOLD, Marcher avec les dragons, p. 9-10

Austérité ou sobriété ?

Étrange et inquiétant aveuglement de nos gouvernants – à moins que ce ne soit pur cynisme, de mener une politique destructrice d’austérité1, qui vise à priver les citoyens des pays européens de l’essentiel, à réduire voire à supprimer ce qui rend la vie possible (le soin, les soins, l’éducation, la culture, la solidarité, …), plutôt qu’une politique raisonnée de sobriété, qui viserait précisément à réduire voire à éliminer tout ce dont nous n’avons pas absolument besoin, tout ce qui est superflu, qui n’est pas essentiel à notre vie. Chaque jour apporte confirmation de cet aveuglement, de cet égarement fatal, qui risque de nous conduire tous au désastre irréversible d’une violence sociale que plus aucune promesse ne pourra contenir.

J’ajoute plus tard [février 2015]: il est intéressant de noter que les mots ne sont pas innocents. En allemand, le mot Schuld est à la fois la faute et la dette. La dette est une faute à expier. Pas étonnants l’incompréhension, le choc culturel entre l’Europe du Sud – solaire – et l’Allemagne – protestante et rigoureuse.

Je note encore: Pierre Rhabi parle depuis longtemps déjà de sobriété heureuse. Mais bien sûr !