La littérature essentielle

Si la culture, et plus spécialement la littérature, n’est jamais que le commentaire réfléchi, approché, perçant, resplendissant de la vie, ou bien elle prend acte de ce que celle-ci est entachée, entre autres choses, de répugnantes disparités ou alors elle l’oublie. Mais si elle l’oublie ou le méconnaît ou le dénie, elle ne vaut pas une minute de peine. Ou elle conserve ce que je regarde comme sa vertu essentielle, qui est révélatrice donc libératrice, et alors elle mérite que nous lui consacrions le meilleur de nos soins, de nos peines, de nos veilles. Ou elle est un divertissement, même de qualité, même agréable, auquel on sacrifie un instant avant de s’en retourner intact, inchangé, indifférent aux affaires courantes, et alors elle peut bien périr sans que je lève le petit doigt. Là est la question.

Pierre Bergounioux, Exister par deux fois, p.131-132

L’allure du temps

Pierre Bergounioux cite1 Charles Vildrac qui, dans les années 30, déplore déjà qu’une vie d’homme ne soit plus contenue dans une époque mais en contienne, dit-il, trois ou quatre dont aucune n’a eu le temps de s’épanouir dans la durée bien qu’elle se cristallise en nous.

Marcel Detienne2 a relevé, chez Michelet, en 1872: Un des faits d’aujourd’hui les plus graves, les moins remarqués, c’est que l’allure du temps a tout à fait changé. Il a doublé le pas d’une manière étrange.

Et Fabio Merlini3 cite Campanella qui s’en préoccupait déjà en 16024: (…) c’ha più istoria in cento anni che non ebbe il mondo in quatro mila; e più libri si fecero in questi cento che in cinque mila (…).

La littérature / Bergounioux II

La littérature ne vaut pas une minute de peine si elle produit des objets tiers pourvus de propriétés esthétiques, formelles, qu’on peut se borner à admirer mais qui sont, comme dit Montaigne, sans nuisances et sans conséquences.Pour moi, la littérature, ça aide à vivre, ça clarifie l’expérience par définition ombreuse, douloureuse, énigmatique qui est la nôtre.

Pierre BERGOUNIOUX, interview dans l’émission Des mots de minuits, France2, 11 avril 2012

Je me défie des livres

Je me défie des livres alors que j’y passe le plus clair de mon temps. Non, je me défie de moi-même parce que les livres m’offrent, souvent, une version approchée de ma propre expérience et que je m’en remettrais volontiers à eux du soin de s’acquitter pour moi du pénible travail d’élucidation en quoi écrire consiste (…)

Pierre BERGOUNIOUX, Conversations sur l’Isle, p.17