La maison, l’enfance, le livre

Les éditions Théodore Balmoral ont publié, durant l’hiver 2003-2004, un très beau volume d’hommage intitulé Compagnies de Pierre Bergounioux. Jean ROUDAUT y signe un article sous le titre Maison de jadis, demeure de toujours. Il y est notamment question de l’enfance de Bergounioux et du rapport à la maison familiale.

L’amour des maisons conduit à celui des livres: le livre est l’accomplissement de la maison; il conserve en lui son souvenir, ses recoins de poussière (…).

J’écoutais [le 12 décembre 2004] une très belle émission qui réunissait les frères Boltanski. Ils y évoquaient leur maison d’enfance; une étrange maison « en ruines » mais lieu magique des rêves, des terreurs, des plaisirs, des illusions, … Sans doute ne suis-je pas en train d’écrire un livre parce que je n’ai pas de maison d’enfance et que ce livre n’a pas (de) lieu. Comment fonder des racines sur l’absence d’un lieu originel ? Le seul que je me reconnaisse est une maison de bois, dans la banlieue de Stockholm, où j’ai connu les années les plus heureuses de l’enfance. Mais pour un temps si court !

Un peu plus loin, dans le même article, J.Roudaut poursuit:

L’enfance, ce n’est pas une période particulière dans la vie d’un homme, c’est le nom que l’adulte donne à l’île submergée où il croit avoir enfoui son secret. Dans la terre d’enfance, on a caché la mort. Le livre la révèle, sans terreur. On écrit des livres parce qu’on espère en faire des demeures pour autrui.

Il faudrait évoquer ici aussi Christian Bobin ou Charles Juliet, ou encore Jean Follain. J’y reviendrai.

Allez aussi à l’article: Le livre est une maison.

La lectrice

Un lundi matin, à Lucca, en Toscane. La ville que je traverse, tôt le matin, déjà vivante mais encore vacante. Et puis la colline, abrupte, où sont les vignes, les oliveraies.

Enfin le retour, de nuit déjà, fatigué, épuisé par cette longue journée. Je suis à l’aéroport de Pise, j’attends l’annonce du vol, plongé dans la lecture de P.Bergounioux, Le premier mot, ce magnifique récit de l’origine du dire et de l’écrire. Soudain, je lève les yeux et le profil très doux mais presque inquisiteur d’une jeune fille vient se ficher dans mon champ de vision, avec ce qui pourrait ressembler à une certaine insistance, une manifestation volontaire. Elle a pour moi, subitement, une présence très forte. Elle est occupée à lire, complètement absorbée. Et elle lira, pendant tout le voyage, des choses sérieuses – de la psycho, de la philosophie.

J’ai noté ce jour-là qu’il y a des reconnaissances possibles entre des êtres qui partagent la même passion de connaître. Mais souvent les circonstances sont si peu propices et si étrangères à ce qui fait sans doute la richesse du monde intérieur qui nous habite et à ce qui ferait la magie d’une rencontre, qu’elles n’en offrent presque pas l’éventualité, sans risquer de les ramener à quelque chose de bien ordinaire. Ce que le mystère que je perçois n’autorise pas.
[30 octobre 2002]

Un détail

Le monde, comme nous l’a appris le philosophe Edmund Husserl, naît d’une « prestation subjective », d’un flux ininterrompu de conscience, d’une donation de sens.
Que surviennent un accès de lassitude, une baisse du ton vital et le vaste ensemble à l’édification duquel nous travaillons sans relâche ni cesse, se défait. Il n’en reste qu’un détail.

Pierre BERGOUNIOUX, Les restes du monde, p. 59

Ce détail, par la mention duquel Bergounioux clôt son petit ouvrage, me parle: c’est précisément l’objet, l’image, l’instant à partir desquels tout peut renaître. L’élan du créateur, comme celui du souvenir. Son isolement, sa fragilité ne sont rien devant sa puissance d’évocation.

Le temps des grâces

Le captivant documentaire de Dominique Marchais sur le monde agricole français en ce début du 21e siècle. La rupture de l’après-guerre, la modernisation et l’industrialisation des cultures, la destruction des milieux ancestraux, la disparition des techniques et du savoir-faire immémorial, … Quel espoir, quel avenir, quel nouvel accord entre l’homme et la nature, à travers l’agriculture ?

Avec le témoignage, la belle parole de Pierre Bergounioux, notamment: Extrait