Dresde – Albertinum

Unter italischen Himmeln

Dresde, mai 2017. Comme chaque année, je passe quelques heures dans les musées de la ville. A l'Albertinum [Galerie Neue Meister], une très belle exposition est consacrée aux artistes qui ont visité et peint l'Italie du 19e siècle: Unter italischen Himmeln. A nouveau, comme dans certain tableau vu au musée d'Edimbourg, je suis frappé par la beauté de la lumière et la douceur qui émane des paysages. Je prends quelques photos, pour tenter d'en sauvegarder la trace.

Un paysage italien

Scottish National Gallery, octobre 2016. Je reste en arrêt devant le petit paysage peint par Richard Parkes Bonington 1802-1828, comme devant un rêve : celui d’un monde perdu, paradisiaque. Et pourtant, l’Europe sortait des grandes années sombres du bonapartisme, des guerres incessantes. Mais quand Bonington s’installe en France (dès 1818) puis voyage en Europe (à partir de 1821), le vieux continent est provisoirement pacifié et le romantisme se déploie sur fond de restauration.

Ce paysage est italien sans doute, du moins c’est comme cela qu’il m’apparaît. Il n’est pas tout à fait exempt d’inquiétude et pourtant, au premier regard, dans l’automne de cette visite écossaise, j’y sens toute la douceur d’un rêve perdu. Partir ! Aller là-bas …

La parole contraire

En septembre 2013, la LTF, société de construction de la ligne TAV Turin-Lyon, annonce qu’elle a porté plainte contre Erri de Luca pour des phrases publiées par le Huffington Post Italie et l’Ansa (agence de presse italienne). Erri de Luca est mis en examen pour « avoir incité publiquement à commettre un ou plusieurs délits et infractions (…) ». La plainte porte sur le fait d’avoir utilisé le mot « saboter ». L’article qui le cite écrit : « Je reste persuadé que la TAV est une entreprise inutile et je continue à penser qu’il est juste de la saboter ».

Début 2015 paraît aux éditions Gallimard un petit livre de 40 pages, intitulé La parole contraire. Erri de Luca y défend son droit à cette parole contraire, à la liberté d’expression, la liberté d’utiliser les mots dans toute leur richesse, dans toutes leurs acceptions, refusant la contrainte du sens unique.

Il note, dans cette belle image, explicite : (…) l’accordéon des droits se resserre parfois jusqu’à rester sans souffle. Mais ensuite les bras s’étirent et l’air revient dans le soufflet. (…) Dans ce procès, le droit de la parole publique est serré au point le plus fermé de l’instrument en accordéon qu’est une démocratie. Et pourtant les temps changent, qu’on le veuille ou non. Chacun d’entre nous a le choix d’y prendre part, droit souvenir, ou bien de laisser aller les temps à leur dérive et de rester à l’abri.

Il fait la distinction entre une liberté de parole (celle qui est obséquieuse est toujours libre et appréciée) et la liberté de parole contraire, dont il revendique le droit constitutionnel.

Non seulement le droit, mais le devoir : Si je ne parlais pas, si je me taisais par convenance personnelle, préférant m’occuper de mes affaires, les mots se gâteraient dans ma bouche.

Belle leçon à écouter et à mettre en œuvre dans ces temps de doute et de faiblesse de la pensée !

Pour suivre les nombreux soutiens à Erri de Luca, c’est ici : Iostoconerri.

En hommage à l’Italie

L’Italie socialement m’a rendu la parole. Je ne savais pas la langue, or j’ai, à l’imprévu, pu la saisir dans tout ce qui est élémentaire, ce qui pouvait d’ailleurs ensuite me rendre plus aisée « la poésie ». Ce n’est pas Paris, c’est la Province qui m’a délié l’esprit. L’Italie semble offrir directement ce dont la Suisse romande se détourne: une immédiateté orale, une complicité avec le secret intime. Le tragique est caché différemment.

Maurice Chappaz, Quelques gouttes de pluie d’une vie avec Gilbert Rossa, Conférence n°21, automne 2005, pp. 295-296

(Lecture: il y a au royaume de la fiction un village situé entre Stendhal et Borgès qui s’appelle Sciascia. Il ne grandira plus désormais mais ses rues – que je connais mal – , à la fois étroites et aérées, sont très belles. En général, la qualité de la littérature italienne contemporaine est une discrétion qui étonne: un art de créer des paraboles sans leur dérouler de tapis, une façon pour ainsi dire pragmatique d’écouler la mélancolie.)

Jean-Christophe Bailly, Phèdre en Inde, Plon, p. 115