Jean FOLLAIN

Dans Tout instant, ce recueil admirable, d’une langue précise, limpide, semée parfois d’images surprenantes, comme des pépites dans une rivière aux reflets étonnants, Follain évoque – à travers les objets – le temps (perdu) de son enfance, celui d’un monde disparu. L’image de la faïence ébréchée, du bol brisé, des fragments de vaisselle est la métaphore de ce recueil de fragments, de textes courts, souvenirs, éclats du temps. Le discours interrompu, l’évocation d’un instant, rendu soudain extraordinairement vivant par une annotation, un mot, un geste, précisément inscrits dans un souvenir incarné.

(…) J’ai peur qu’il ne tombe de mes mains …

(…) Il arrive que la vaisselle tombe des mains des femmes.

(…) le plat s’écrase à terre, montrant sa cassure sombre.

Pourquoi alors avoir le sentiment que le monde est merveille ? Est-ce parce que la servante est belle ? (…) Continuer la lecture de « Jean FOLLAIN »

Gilbert HOUËL

Dans la revue Conférence (n°29), je découvre avec délectation la très belle poésie inédite de Gilbert HOUËL (1919-2007). Le petit mot d’introduction nous apprend que l’auteur était premier violon à l’Orchestre National. Il a très peu publié, semble-t-il. Je n’ai trouvé qu’un recueil, épuisé aujourd’hui. Cette poésie fait écho pour moi à d’autres textes, ceux de Follain, par exemple. On y trouve la même évocation de l’enfance et d’un passé désuet. Textes profonds, magnifiques.

Voix d’enfance des déversoirs; elle perpétue en toi la campagne auréolée. Tu t’avances dans la profondeur qu’accroît la transparence du jour; le temps revécu t’accompagne et te porte aux confins naturels. Où se perd la distance de l’homme, ils proposent le règne et la paix qui te lient? Tu es l’égal de ce chant grave et de l’été souverain.

* * *

Rendez-moi la lampe du soir d’autrefois sur la campagne éteinte.

Rendez-moi l’octobre chancelant à voix de brume et d’enfances mortes.

Rendez-moi le long sommeil et le rêve perdus dans les chambres du temps qui s’éloigne.

* * *

Là-bas
Où la grande solitude de la terre
Tourne en rond indéfiniment
Comme une bête sauvage
Dans la cage du ciel

Il y a
Cernées d’eau et de nuit
ma vie
Et ma peine bien aimée
Main dans la main
Sous la lampe étroite
Et la rouge chaleur du coeur endormi
Qui se souvient.

La maison, l’enfance, le livre

Les éditions Théodore Balmoral ont publié, durant l’hiver 2003-2004, un très beau volume d’hommage intitulé Compagnies de Pierre Bergounioux. Jean ROUDAUT y signe un article sous le titre Maison de jadis, demeure de toujours. Il y est notamment question de l’enfance de Bergounioux et du rapport à la maison familiale.

L’amour des maisons conduit à celui des livres: le livre est l’accomplissement de la maison; il conserve en lui son souvenir, ses recoins de poussière (…).

J’écoutais [le 12 décembre 2004] une très belle émission qui réunissait les frères Boltanski. Ils y évoquaient leur maison d’enfance; une étrange maison « en ruines » mais lieu magique des rêves, des terreurs, des plaisirs, des illusions, … Sans doute ne suis-je pas en train d’écrire un livre parce que je n’ai pas de maison d’enfance et que ce livre n’a pas (de) lieu. Comment fonder des racines sur l’absence d’un lieu originel ? Le seul que je me reconnaisse est une maison de bois, dans la banlieue de Stockholm, où j’ai connu les années les plus heureuses de l’enfance. Mais pour un temps si court !

Un peu plus loin, dans le même article, J.Roudaut poursuit:

L’enfance, ce n’est pas une période particulière dans la vie d’un homme, c’est le nom que l’adulte donne à l’île submergée où il croit avoir enfoui son secret. Dans la terre d’enfance, on a caché la mort. Le livre la révèle, sans terreur. On écrit des livres parce qu’on espère en faire des demeures pour autrui.

Il faudrait évoquer ici aussi Christian Bobin ou Charles Juliet, ou encore Jean Follain. J’y reviendrai.

Allez aussi à l’article: Le livre est une maison.