L’allure du temps

Pierre Bergounioux cite1 Charles Vildrac qui, dans les années 30, déplore déjà qu’une vie d’homme ne soit plus contenue dans une époque mais en contienne, dit-il, trois ou quatre dont aucune n’a eu le temps de s’épanouir dans la durée bien qu’elle se cristallise en nous.

Marcel Detienne2 a relevé, chez Michelet, en 1872: Un des faits d’aujourd’hui les plus graves, les moins remarqués, c’est que l’allure du temps a tout à fait changé. Il a doublé le pas d’une manière étrange.

Et Fabio Merlini3 cite Campanella qui s’en préoccupait déjà en 16024: (…) c’ha più istoria in cento anni che non ebbe il mondo in quatro mila; e più libri si fecero in questi cento che in cinque mila (…).

Le rire de Marcel Detienne

Marcel DETIENNE est un anthropologue « comparatiste». Né à Liège (un compatriote !) en 1935, élève étranger à l’Ecole normale supérieure, il a fait une grande partie de sa carrière aux Etats-Unis comme professor of classics de la prestigieuse université Johns-Hopkins à Baltimore. Il est un des grands spécialistes de la Grèce antique, qu’il étudie pour la comparer aux autres cultures et civilisations.

Je lis notamment de petits ouvrages dans lesquels il analyse – avec quelle liberté et quelle vivacité d’esprit ! – ce qu’on peut entendre par « identité », ce qu’il appelle les « mythidéologies » dont les plus anciennes remontent à cette antiquité qu’il connaît bien. Je recommande notamment deux titres, qui oxygènent radicalement l’esprit, dans ces temps troublés de quête pathologique d’une identité illusoire: Comment être autochtone (du pur Athénien au Français racinien) (Seuil) et un tout simple Où est le mystère de l’identité nationale ? (éditions Panama).

En novembre 2009, il est interrogé par Sylvain Bourmeau, pour le site de Mediapart. C’est un entretien roboratif, parfaitement réjouissant, intitulé L’identité nationale, c’est l’hypertrophie du moi. L’entretien est d’autant plus réjouissant qu’on y entend Marcel Detienne régulièrement secoué par un rire contagieux. D’aucuns – dans les commentaires notamment – s’en sont émus: le sujet est trop grave, il n’y a pas de quoi rire ! Mais j’adore ce rire impertinent, le rire étonnant du philosophe ! Toute la candeur d’une intelligence acérée est là, quand elle évite de se prendre au sérieux.