L’excessif est la seule mesure

Qui va donc la secouer un peu, cette jeunesse à tout asservie? Qui va lui apprendre qu’un homme qui n’affronte pas sa solitude n’est pas vraiment un homme; qu’une pensée qui ne se heurte pas au doute et au mystère n’est pas une pensée; qu’une sagesse qui ne mène pas au risque n’est pas une sagesse; qu’un avenir déjà connu est un passé raté; qu’un plaisir qui ne bouleverse pas n’est pas un plaisir; qu’affronter, très jeune, l’idée de la mort empêche de croupir toute sa vie dans les plans de carrière et les mamours des banquiers; qu’il faut admirer sans retenue ce qui mérite de l’être et jeter le reste, sans colère inutile mais sans faiblesse, à la poubelle de l’oubli; que, pour tout ce qui compte vraiment, l’excessif est la seule mesure.

Jean Sur, « Un tandem infernal », sur Résurgences – Destin

La berceuse magique

Aussi loin que remontent mes souvenirs d’enfant, j’ai en mémoire une petite mélodie, une berceuse, que me chantait ma mère qui la tenait de ma grand-mère Suzanne Lyon, qui elle-même devait la tenir de sa propre mère, Félicité Claesen, née à Liège en 18611. Cette petite mélodie avait – et garde toujours pour autant qu’on la chante, un pouvoir magique absolu, celui d’alléger les chagrins d’enfant, d’apaiser le rythme respiratoire et d’arrêter ainsi, tout doucement, les hoquets des sanglots. Je n’ai jamais su – pour ne pas les avoir questionnées à temps, d’où venait cette mélodie magique: avait-elle des paroles, une suite, … ? Je n’ai jamais trouvé trace de cette berceuse, personne de mon entourage n’a pu me renseigner. Ce n’est pas que je veuille absolument percer le mystère mais, voilà, si quelqu’un la reconnaissait, je serais heureux qu’il/elle m’en fasse part.

La voici:


Exultation

Et tous ces visages… Je n’entends plus rien, ne vois qu’eux, et dans la brutale alacrité de la jouissance qui m’emplit, je les bois avec une voracité goulue. Je les bois et les dévore, les savoure, me les incorpore, les fixe en moi à jamais. Car à ma grande surprise, j’ai pu vérifier qu’un visage que j’ai scruté avec ferveur pendant quelques secondes, je ne l’oublie plus. Dix, quinze, vingt ans plus tard, si je le revois, et serait-ce en un tout autre lieu et dans les circonstances les plus différentes, je sais immédiatement où et quand il s’est gravé en moi. Visages et regards – visages et regards – sans doute ma plus violente passion. Des milliers d’heures dans les rues, les cafés, les gares, sur les places, à les épier, les interroger, tenter de percer leur mystère, à me nourrir de tout ce que je leur dérobe, à les déposer en moi là où la vie tressaille, là où ils vont émouvoir ma part la plus avide, le plus ardente, me muer en une seule exultation.

Charles JULIET, Vers la rencontre, Les Cahiers des Brisants, 1980.

Vivre

Paul Valet explique quelque part:

La question valérienne par excellence, non pas : être ou ne pas être (comme le croyait naïvement Hamlet) mais la vraie, la seule et unique : comment être en ce monde tout en n’y étant pas véritablement ?

Et Maurice Chappaz, dans les entretiens publiés sous le titre de A-Dieu-vat:

(Vivre est une énigme).
Je trouve très heureux qu’on ne sache rien. Il y a un mystère, on ne sait rien et on doit vivre. Et vivre, c’est la réponse à cette énigme, à ce fait qu’on ne sait rien. Mais il y a une réponse à donner et pas n’importe laquelle.