Exultation

Et tous ces visages… Je n’entends plus rien, ne vois qu’eux, et dans la brutale alacrité de la jouissance qui m’emplit, je les bois avec une voracité goulue. Je les bois et les dévore, les savoure, me les incorpore, les fixe en moi à jamais. Car à ma grande surprise, j’ai pu vérifier qu’un visage que j’ai scruté avec ferveur pendant quelques secondes, je ne l’oublie plus. Dix, quinze, vingt ans plus tard, si je le revois, et serait-ce en un tout autre lieu et dans les circonstances les plus différentes, je sais immédiatement où et quand il s’est gravé en moi. Visages et regards – visages et regards – sans doute ma plus violente passion. Des milliers d’heures dans les rues, les cafés, les gares, sur les places, à les épier, les interroger, tenter de percer leur mystère, à me nourrir de tout ce que je leur dérobe, à les déposer en moi là où la vie tressaille, là où ils vont émouvoir ma part la plus avide, le plus ardente, me muer en une seule exultation.

Charles JULIET, Vers la rencontre, Les Cahiers des Brisants, 1980.