Résistance

   À une époque où chacun se voit sommé de réussir et d’être performant, peut-être n’a-t-on jamais autant parlé de mal-être et de souffrance sociale. Naguère, les individus se regroupaient sans doute plus spontanément de façon collective pour combattre l' »oppression » ou l' »exploitation » ; ils inscrivaient leur souffrance dans une communauté humaine. Aujourd’hui, beaucoup de nos contemporains consultent, individuellement, le corps médical ou des psychologues. Les plus fragilisés par les logiques économiques actuelles et la pression sociale éprouvent un surcroît de tension. Ils ne trouvent plus d’espaces de reconnaissance et souffrent de voir sur l’écran de télévision l’argent s’étaler, les richesses déborder ; alors que leur quotidien devient de plus en plus précaire.

Une culture du ressentiment se développe. Elle fragilise nos démocraties. Comment permettre, alors, à chacun de trouver sa place ? Comme retrouver le sens du mot « société » ? De quelle manière agir face à l’inquiétante montée des inégalités sociales ? Qu’est-ce qui peut nous faire passer d’une solitude habitée par la crainte d’autrui à la solidarité active et non-violente ? Comment résister à la tentation « sécuritaire » tout en se sentant en « sécurité » ? En électronique, la résistance est un conducteur dans lequel toute l’énergie électrique est transformée en chaleur. Transposée dans le domaine social, la résistance doit être comprise, dans ce livre, comme l’énergie sociale qui se manifeste, en puissance ou en acte, sous la forme d’une solidarité joyeuse et d’une espérance vécue. Face à la froideur des logiques d’exclusion et des courses au profit, la résistance met en mouvement des forces, parfois insoupçonnées, en stimulant la production de chaleur humaine. Il convient alors, plus que jamais, de l’organiser.

Fred POCHÉ, Organiser la résistance sociale, 2005

Je note, pour moi, sur un coin de table, et je souligne que la capacité d’indignation est sans doute, aussi, un puissant facteur de résistance.

Le chaos-monde

Nous vivons dans un bouleversement perpétuel où les civilisations s’entrecroisent, ou des pans entiers de culture basculent et s’entremêlent, ou ceux qui s’effraient du métissage deviennent des extrémistes. C’est ce que j’appelle le chaos-monde.

On ne peut pas agir sur le moment d’avant pour atteindre le moment d’après. Les certitudes du rationalisme n’opèrent plus, la pensée dialectique a échoué, le pragmatisme ne suffit plus, les vieilles pensées de systèmes ne peuvent comprendre ce monde. Je crois que seules des pensées incertaines de leur puissance, des pensées du tremblement où jouent la peur, l’irrésolu, la crainte, le doute, saisissent mieux les bouleversements en cours. Des pensées métisses, des pensées créoles.

Edouard GLISSANT, Le Monde2, 31-12-2004

La doléance

En ce début 2012, au moment où tant de choses, dans la vie de ce pays où je vis, dans la vie de l’Europe, du monde, se dessinent, vont se décider, je veux mettre en évidence ceci, simplement. Il ne s’agit pas de répercuter une plainte, mais de rendre compte d’un espoir. Et puis, mon Dieu, comme l’urgence est là !

Ecoutez: La doléance

Chercher l’inespéré

Cynthia FLEURY, 35 ans, est philosophe, professeur à l’IEP et à l’Ecole Polytechnique de Paris.

Dans une interview donnée au Monde.fr, le 23 octobre 2010, elle plaide en faveur d’un compromis démocratique.

Elle souligne que ce serait une erreur de considérer que les élites – issues du pouvoir représentatif – sont seules légitimes. « Dans les démocraties modernes, il y a d’un côté des citoyens éclairés, des citoyens responsables, et de l’autre des élites éclairées, des élites responsables. Le dénigrement systématique ne mène à rien. La démocratie, ce n’est pas la réciprocité des mépris. »

J’admire l’intelligence et la clairvoyance de cette jeune femme. Et son engagement quand elle affirme la nécessité, pour sortir des crises dans lesquelles nous nous trouvons, de ré-inventer la démocratie. Elle cite cette très belle phrase d’Héraclite: Si tu ne cherches pas l’inespéré, tu ne trouveras rien.
Elle note, comme le fait Bernard Stiegler à sa manière [voir Ars Industrialis], que nous faisons face à une exigence de pluralité et de complémentarité des légitimités, à un impératif d’invention démocratique. Aujourd’hui, les réseaux – de trans-individuation selon le terme utilisé par Stiegler, sont des outils extraordinairement créatifs, productifs, pour alimenter une production collective, plurielle, de la raison publique et du pouvoir d’Etat. Fleury dit croire aux majorités qualifiées citoyennes qui peuvent surgir de ces réseaux sociaux, et renouveler notre exercice de la démocratie.