Un peu de violence

La merveilleuse finesse de Annie Dillard !

Il ne se passera rien dans ce livre. Il y a simplement un peu de violence çà et là dans le langage, à ces carrefours où l’éternité épingle le temps.

[Voilà qui évoque aussi William Blake: L’éternité est amoureuse des productions du temps.]

Annie Dillard, Pélerinage à Tinker Creek

La différence

La question de la différence ne devrait pas se poser puisqu’elle va de soi. Pourquoi parle-t-on [aujourd’hui plus qu’autrefois ?] de la différence ? Comme si la non-différence, l’indifférenciation était la norme ? Alors que c’est bien la diversité qui est la norme du vivant. L’idéologie (noire/sombre… ?) de l’identité, du semblable, du similaire, celle de l’assimilation, du clone, a la vie dure. Le divers fait peur au lieu d’éveiller l’intérêt, de stimuler la création. Les organisations – organisations sociales, entreprises – sont, la plupart du temps, engagées dans la répétition du même. Elle est mortelle, l’incapacité de notre société occidentale à se regarder depuis un ailleurs, à s’envisager comme l’autre de l’autre. Le politique, les média, ont une très grande responsabilité sur ce sujet. Les conséquences en sont majeures – et désastreuses.  René Girard nous alerte: Là où la différence fait défaut, c’est la violence qui menace. (cité par Th.Fabre, Éloge de la pensée de midi, p. 83)

Résistance

   À une époque où chacun se voit sommé de réussir et d’être performant, peut-être n’a-t-on jamais autant parlé de mal-être et de souffrance sociale. Naguère, les individus se regroupaient sans doute plus spontanément de façon collective pour combattre l' »oppression » ou l' »exploitation » ; ils inscrivaient leur souffrance dans une communauté humaine. Aujourd’hui, beaucoup de nos contemporains consultent, individuellement, le corps médical ou des psychologues. Les plus fragilisés par les logiques économiques actuelles et la pression sociale éprouvent un surcroît de tension. Ils ne trouvent plus d’espaces de reconnaissance et souffrent de voir sur l’écran de télévision l’argent s’étaler, les richesses déborder ; alors que leur quotidien devient de plus en plus précaire.

Une culture du ressentiment se développe. Elle fragilise nos démocraties. Comment permettre, alors, à chacun de trouver sa place ? Comme retrouver le sens du mot « société » ? De quelle manière agir face à l’inquiétante montée des inégalités sociales ? Qu’est-ce qui peut nous faire passer d’une solitude habitée par la crainte d’autrui à la solidarité active et non-violente ? Comment résister à la tentation « sécuritaire » tout en se sentant en « sécurité » ? En électronique, la résistance est un conducteur dans lequel toute l’énergie électrique est transformée en chaleur. Transposée dans le domaine social, la résistance doit être comprise, dans ce livre, comme l’énergie sociale qui se manifeste, en puissance ou en acte, sous la forme d’une solidarité joyeuse et d’une espérance vécue. Face à la froideur des logiques d’exclusion et des courses au profit, la résistance met en mouvement des forces, parfois insoupçonnées, en stimulant la production de chaleur humaine. Il convient alors, plus que jamais, de l’organiser.

Fred POCHÉ, Organiser la résistance sociale, 2005

Je note, pour moi, sur un coin de table, et je souligne que la capacité d’indignation est sans doute, aussi, un puissant facteur de résistance.

Rolling Stones

J’ai dévoré, dans un mouvement de lecture hallucinatoire, le très beau Rolling Stones, une biographie, par François BON (disponible en livre de poche depuis 2004).

La vie que ces gars ont menée, cette folie complète qui entraîne des jeunes à peine sortis de l’adolescence dans la provocation, la drogue, les manoeuvres irresponsables, a quelque chose de terrifiant. On se dit que, effectivement, ils ont manqué de tout: d’éducation, de formation, d’outils de pensée. Cela ne les a pas empêchés d’avoir du génie, mais toute leur vie en est marquée. Alors, ce qui les dépasse, au-delà de toutes les turpitudes, parfois fatales, dans lesquelles ils sont entraînés, ce qui excède le cadre affligeant de leurs vies personnelles, c’est la musique. Même si cette musique se charge des scories de leurs dérives, elle reste et revient avec l’utilisation renouvelée, inventive, extraordinairement moderne, des thèmes du blues du vieux sud américain, qui nous écrasent de nostalgie. La solitude, l’angoisse, la terreur des enfants abandonnés, la crainte et la violence cachée, tout y est. Il y a autant de souffrance dans les stridences des amplis poussés à fond que dans la voix des vieux bluesmen.