Notre attention

Les habitudes d’inattention et de légèreté contribuent à engendrer une multitude de vices. C’est à elles qu’il faut rapporter même en grande partie la dureté apparente du coeur, les passions personnelles et anti-sociales. Si, plus maîtres de notre attention, nous savions l’arrêter sur les maux d’autrui, combien nous frémirions à la seule idée d’en être les causes !

Maine du Biran, cité par C.Carraud in Conférence n°42, p.10-11

Nier la pesanteur

Si les oiseaux ne chantaient pas, nous ne chanterions pas nous non plus. Notre chant vient de loin, du gosier strié des reptiles, des joues flasques des batraciens. Ultime cri des mots pour dire que nous sommes. Le chant nie la pesanteur des corps (c’est pourquoi on dit qu’il s’ élève) comme les mots nient la pesanteur des choses. Quand j’écris terre, ce mot ne pèse rien, presque rien sur la page. Et quand j’écris soleil, j’échange des myriades de tonnes contre deux syllabes sans poids. Ainsi du chant qui mue le corps en souffle, la chair en air. Non, notre chant à nous ne dit pas : nous sommes. Il dit: nous sommes autres.

Jacques LACARRIERE, Sourates, p. 89

Cette évocation de la légèreté me rappelle d’insérer ici une mention de la Première leçon que Italo CALVINO aurait dû donner à Harvard, et qui est publiée avec 4 autres sous le titre des Leçons américaines [Aide-mémoire pour le prochain millénaire]. Les 5 Leçons – Légèreté, Rapidité, Exactitude, Visibilité, Multiplicité –  sont toutes admirables.

Dans la Première leçon [Légèreté], j’ai noté:

Si je voulais choisir un symbole votif pour saluer le nouveau millénaire, je choisirais celui-ci: le bond agile et imprévu du poète-philosophe [Cavalcanti] qui prend appui sur la pesanteur du monde, démontrant que sa gravité détient le secret de la légèreté – alors que ce qui passe aux yeux de beaucoup pour la vitalité d’une époque bruyante, agressive, piaffante et vrombissante appartient aussi sûrement au règne de la mort qu’un cimetière d’automobiles rouillées.