Le bon usage du monde

« Je veux m’en aller, loin », déclare Jacob à son vieux père. Et celui-ci, surpris: « Loin d’où ? » Il y a beaucoup d’arrière-pensée profonde dans la réponse interrogative du vieil homme: on n’est jamais loin de Dieu, si Dieu existe, on n’est jamais si loin qu’on voudrait du malheur, ou du chagrin qui sûrement existe, on n’est jamais loin de soi-même…

Cette phrase, je la note dans un ouvrage de Claude ROY, Le Bon Usage du Monde, publié en 1964 par les éditions Rencontre (Lausanne), dans la belle collection L’Atlas des voyages – qui demeure, près de 50 ans plus tard, une référence notamment par la qualité de l’iconographie réunie dans chacun des volumes.1 Je suis intrigué par la coïncidence: après plusieurs tentatives auprès d’éditeurs parisiens, c’est en 1963 que Nicolas BOUVIER a publié chez Droz (Genève) son magnifique récit, intitulé … L’Usage du monde. La similitude des titres est frappante. Est-elle due à ce hasard qui inscrit une forme dans un moment donné ? L’écho se complète pour moi, à partir de la citation de Roy [… on n’est jamais loin de soi-même…], dans celle de Bouvier (que je cite ici dans Vous détruire).

L’usage du monde

Voici les toutes dernières pages de L’usage du monde de Nicolas BOUVIER. Je suis profondément touché par Bouvier, et singulièrement par ce récit de voyage, d’un voyage fabuleux entre la Suisse et les frontières de l’Inde, par deux jeunes gens, partis à l’aventure, à une époque où l’on était libre de traverser les Balkans, la Turquie, l’Iran, vers l’Afghanistan et l’Inde. Cela n’allait pas sans risque ni sans difficulté, mais la croisière était possible. C’est un récit d’initiation et d’ouverture au monde. Je ne connais pas d’autre livre qu’il faudrait emmener en exil …

Ecoutez:

 

Vous détruire

Trop de gens attendent tout du voyage sans s’être jamais souciés de ce que le voyage attend d’eux. Ils souhaitent que le dépaysement les guérisse d’insuffisances qui ne sont pas nationales, mais humaines, et l’ivresse des premières semaines où, tout étant nouveau, vous avez l’impression de l’être vous-même, leur donne l’impression passagère qu’ils ont été exaucés. Puis quand le moi dont ils voulaient discrètement se défaire dans la gare du départ ou dans le premier port les retrouve au détour d’un paysage étranger, ce moi morose et solitaire auquel on pensait avoir réglé son compte, ils en rendent responsable le pays où ils ont choisi de vivre. Le voyage ne vous apprendra rien si vous ne lui laissez pas aussi le droit de vous détruire.

Nicolas BOUVIER, Le vide et le plein, p.158

From Grand Central to Irvington on Hudson

Le dimanche 28 mars 2010, une fin d'après-midi, froid et pluvieux. Je fais, une nouvelle fois, le trajet entre la gare de Manhattan, Grand Central, et le village de Irvington, au bord de l'Hudson.

Le long du fleuve, le train de la MTA s'arrête dans toutes les gares - Spuyten Duyvil, Riverdale, Ludlow, Yonkers, Dobbs Ferry... dont les noms trahissent l'origine lointaine, de l'autre côté de l'Atlantique, dans le vieux continent.  Le ciel est gris et sombre, il n'y a que quelques voyageurs sous les lampes claires des compartiments. J'enregistre des images.