Notes sur Dresde – Juin 2013

Parti de Lille sous le soleil revenu. Peu à peu, vers l’est, le temps se dégrade. Il ne fait plus que 11 ou 12 degrés. Pluie, brouillard sur les crêtes. Je roule plus de sept heures avant d’atteindre Erfurt. Il fait gris et froid. Depuis Cologne, je n’ai traversé, me semble-t-il, que des forêts, immenses, à perte de vue. Pays d’arbres et de collines.
A Erfurt, la nuit est violemment essorée par un vent de tempête. Il fait toujours gris et glacial. Ce matin du 2 juin 2013, huit degrés seulement. Je roule vers Weimar, que je traverse, sans en voir rien: tout est triste et désert. Sans doute ne suis-je pas au bon endroit. Puis la route encore, à travers d’autres hautes collines, avec des points de vue magnifiques. J’arrive à Naumburg, où j’avais dormi l’an dernier – il y faisait alors un temps splendide – dans le parfum entêtant des tilleuls. Je revois la ville, dimanche matin, quasi déserte. La cathédrale se visite à partir de midi. Elle est toujours aussi incroyablement impressionnante. J’attendrai.

Dresde.
Hochwasser, inondations de l’Elbe. Tout le monde se mobilise pour entasser des sacs de sable, on fait la chaîne mais, tôt le lendemain, le rempart est submergé, il faut recommencer un peu plus haut. Il pleut sans cesse, les ponts seront peut-être fermés, qui nous empêcheront alors d’aller dans la vieille ville, puisque nous sommes sur la rive droite.

Je note, par fragments.

  • Et si le Paradis était peuplé, uniquement, de ceux que nous nommons « anormaux ? enfin fous de bonheur et de liberté.
  • A l’arrêt du tram, un petit gamin hurle. Sa mère poursuit sa route sans se retourner. Puis, elle revient sur ses pas et sans rien dire le remet dans la poussette. Il est rouge de colère. La couleur du ciel gris par contraste. La chaleur et le froid.
  • A la place de la litanie des saints, nous devrions lancer l’invocation sonore de tous les morts de la famille, aussi loin que le souvenir remonte.
  • L’Elbe charrie des troncs morts, du bois mort, de la terre. Couleur de bronze ou de terre cuite, comme le grès des quais ou les moellons des bâtisses qui portent encore, dirait-on, le noir de fumée du feu infernal, le long des terrasses hautes, bien au-dessus du fleuve, que la crue n’atteint pas.
  • Le feu qui prend. Mais « tu ne m’entends pas ! ». Et tu le sais pourtant.
  • Vagues écumantes. Naissance, l’enfant est déjà dans les bras, le cordon ombilical le tient encore par le ventre. Le ventre le tient, longtemps, longtemps, et serre.
  • La bibliothèque est peuplée d’anges, attentifs et bienveillants. Je pense comme si je parlais à quelqu’un d’autre, à l’intérieur. [Der Himmel über Berlin]. Als das Kind ein Kind war, …

Il fait beau et frais encore, l’Elbe est en décrue, on le sent. Galerie des Maîtres anciens, que je parcours encore et encore, avec un bonheur infini. Le Café du Musée, samedi matin. Le ballet des serveuses en noir, pantalon noir, chemisier de même, avec un petit tablier vert olive. Gracieuses. Peu de monde. Courants d’air, il fait bon. Cliquetis de porcelaine. Comment est faite notre vie, par quel chemin détourné m’a-t-elle amené ici ? Dresde est l’aboutissement d’un parcours qui a commencé à Torgau, dans la lumière glacée d’un midi de décembre, par un coup d’œil rapide – depuis la voiture qui m’emmenait – sur l’incroyable château du grand électeur de Saxe, émergeant de l’humidité, au-dessus de l’Elbe. C’était en 2011. C’est là, à ce moment-là, dans cette émotion-là que tout se déclenche.