(…) le monde se dérobe. Nous ne savons plus comment faire pour l’habiter. La manie de la photographie qui s’est emparée des touristes du monde entier en est un symptôme pathétique : symptôme de l’incapacité à voir, qui cherche à s’oublier dans l’illusion que sur les photographies, enfin, la malédiction sera levée. Sans cette illusion la situation du touriste serait intenable.
[Il cite Günther Anders, Obsolescence de l’homme]: Pour qui voyage de cette façon, le présent est dégradé au rang de quelque chose d’irréel et de fantomatique. Inutile de préciser qu’en voyageant ainsi, on ne voyage pas.
Illusion qu’un auxiliaire technique, la photographie, nous permettra de surmonter le hiatus qui s’est creusé entre nous et le monde. Les millions de pixel n’y peuvent rien.
Olivier REY, Quelle vie, quel voyage, avec qui ?, in Conférence n°22, printemps 2006, p. 20