Voir le monde qui nous entoure

La vie intérieure est souvent stupide. Son égoïsme l’aveugle et la rend sourde; son imagination, fascinée, tisse d’ignorantes fables. Elle se dit que le vent d’ouest souffle sur elle, que les feuilles tombent à ses pieds pour des raisons bien particulières, que tous ont les yeux fixés sur elle. L’esprit risque l’ignorance totale parce qu’il veut parfois, piètre récompense, enrichir l’imagination. Ce que la raison doit faire, c’est forcer l’imagination à voir le monde qui nous entoure – ne serait-ce que de temps à autre.

Annie DILLARD, Une enfance américaine, p.36

Photographier le monde ?

(…) le monde se dérobe. Nous ne savons plus comment faire pour l’habiter. La manie de la photographie qui s’est emparée des touristes du monde entier en est un symptôme pathétique : symptôme de l’incapacité à voir, qui cherche à s’oublier dans l’illusion que sur les photographies, enfin, la malédiction sera levée. Sans cette illusion la situation du touriste serait intenable.

[Il cite Günther Anders, Obsolescence de l’homme]: Pour qui voyage de cette façon, le présent est dégradé au rang de quelque chose d’irréel et de fantomatique. Inutile de préciser qu’en voyageant ainsi, on ne voyage pas.

Illusion qu’un auxiliaire technique, la photographie, nous permettra de surmonter le hiatus qui s’est creusé entre nous et le monde. Les millions de pixel n’y peuvent rien.

Olivier REY, Quelle vie, quel voyage, avec qui ?, in Conférence n°22, printemps 2006, p. 20

Au fond…

Le regard est la dernière goutte au fond de l’homme.

Walter BENJAMIN, Sens unique, p. 161


Ça n’est pas une mince affaire de voir ce qui n’est pas encore décidé à être vu.

Israël ÉLIRAZ, Petit carnet du Levant