L’identité

L’identité, loin d’être figée, immuable – comme on tente de nous en convaincre sur le fonds entretenu d’une prétendue insécurité – est en perpétuelle construction, en permanent ré-agencement. Elle ne se construit que dans la communauté de nos échanges, dans notre rapport à l’autre comme dans l’approfondissement de la découverte de nous-même.

Voici quelques notes relevées sur ce point.

Faute1, par Michel Serres.

Serres est marqué sur ma carte d’identité. Voilà un nom de montagne, comme Sierra en espagnol ou Serra en portugais; mille personnes s’appellent ainsi, au moins dans trois pays. Quant à Michel, une population plus nombreuse porte ce prénom. Je connais pas mal de Michel Serres: j’appartiens à ce groupe, comme à celui des gens qui sont nés en Lot-et-Garonne. Bref, sur ma carte d’identité, rien ne dit mon identité, mais plusieurs appartenances. Deux autres y figurent : les gens qui mesurent 1,80 m, et ceux de la nation française. Confondre l’identité et l’appartenance est une faute de logique, réglée par les mathématiciens. Ou vous dites a est a, je suis je, et voilà l’identité; ou vous dites a appartient à telle collection, et voilà l’appartenance. Cette erreur expose à dire n’importe quoi. Mais elle se double d’un crime politique: le racisme. Dire, en effet, de tel ou tel qu’il est noir ou juif ou femme est une phrase raciste parce qu’elle confond l’appartenance et l’identité. Je ne suis pas français ou gascon, mais j’appartiens aux groupes de ceux qui portent dans leur poche une carte rédigée dans la même langue que la mienne et de ceux qui, parfois, rêvent en occitan. Réduire quelqu’un à une seule de ses appartenances peut le condamner à la persécution. Or cette erreur, or cette injure nous les commettons quand nous disons: identité religieuse, culturelle, nationale… Non, il s’agit d’appartenances. Qui suis-je, alors ? Je suis je, voilà tout; je suis aussi la somme de mes appartenances que je ne connaîtrai qu’à ma mort, car tout progrès consiste à entrer dans un nouveau groupe: ceux qui parlent turc, si j’apprends cette langue, ceux qui savent réparer une mobylette ou cuire les œufs durs, etc. Identité nationale : erreur et délit.


Tout ce qui m’attache au monde, tous les liens qui me constituent, toutes les forces qui me peuplent ne tissent pas une identité, comme on m’incite à la brandir, mais une existence, singulière, commune, vivante, et d’où émerge par endroits, par moments, cet être qui dit « je ». Notre sentiment d’inconsistance n’est que l’effet de cette bête croyance dans la permanence du Moi, et du peu de soin que nous accordons à ce qui nous fait.

Comité invisible, L’insurrection qui vient, La Fabrique, p. 16


A l’identité racine unique, Edouard Glissant oppose une identité de relation: la rencontre du donner-recevoir, l’échange dans lequel on se change sans pour autant se perdre ni se dénaturer.

  1. Éditorial de Libération, le 19 novembre 2009